Bureau du producteur Adam Bohling, le 25 octobre 2012 à 18 heures. Matthew Vaughn et Jane Goldman se tiennent debout devant lui, fébriles d’enthousiasme.
Adam : Je vous en prie messieurs dames, asseyez-vous et expliquez-moi donc cette fameuse idée.
Jane : On a déjà presque tout le film en tête, c’est ouf. Le concept, c’est de refaire un James Bond –
Matthew : Un des anciens, hein, avant tout ce bordel de Sam Mendes compliqué à réaliser.
Jane : Un ancien James Bond, donc, mais à une sauce moderne, façon Tarantino. Un James Bond en mieux.
Adam : D’accord, ça m’intéresse.
Matthew : Comme il faut être sûr que ces blaireaux de spectateurs comprennent le principe, on le dira plusieurs fois dans le film.
Jane : Ouais, Michael Caine (il y aura Michael Caine) dit au héros « t’es encore mieux que James Bond et Jason Bourne ».
Matthew : Et Samuel Jackson (il y aura Samuel Jackson aussi) dit « on est pas dans un film de James Bond donc j’explique pas mon plan avant de te tuer ».
Jane : Et ensuite le héros le répète à la fin du film, pour être sûr.
Adam : Hum, ce ne sera pas un tantinet lourdingue ?
Matthew : Oh, Première dira que c’est du méta-second degré, ça passera.
Adam : Bon, ok. Parlez-moi de vos personnages dans ce cas.
Jane : Ah bah déjà, Matthew et moi on a réinventé le héros du film d’action/espionnage. C’est un agent courageux, drôle et peu respectueux de la hiérarchie qui vient d’une famille pauvre. Il sauve le monde en mode casual weekend et se farcit les jolies blondes.
Adam : Donc en fait c’est James Bond.
Matthew : Mais non, vous l’avez pas bien écoutée. Il vient d’une famille pauvre.
Jane : Il y a notre méchant aussi, trop nouveau. C’est un milliardaire machiavélique, il ourdit un complot à l’échelle mondiale sous couvert d’une action altruiste.
Adam : Jusque là, c’est exac…
Jane : MAIS il est black et il zozote.
Adam : Euh…
Matthew : Il est BLACK. Et il ZOZOTE mec. Trop original.
Adam : D’accord, d’accord, et quel est donc son complot machiavélique ?
Jane : Tuer des milliards de gens, parce qu’il y a trop de gens.
Adam : Ah quand même.
Matthew : Nan, mais c’est vrai que c’est un brin radical. Du coup dans la scène où il annonce son super-génocide, il y aura une salle pleine de gens qui applaudissent l’idée sans hésiter, ça la rendra plus crédible.
Adam : Vous êtes sûrs de vous là ?
Jane : Bah oui, dans l’histoire c’est les gens les plus riches et les plus connus. S’ils applaudissent quelque chose, tout le monde les croit.
Adam : Vous…vous avez pas tort pour le coup.
Matthew : Il nous en reste un trop classe aussi. Le personnage de Michael Caine, c’est le schéma classique du chef des espions, droit et exigeant. Mais en vrai c’est un méchant.
Jane : Oui, il a été convaincu par Samuel Jackson, mais personne ne le sait sauf le héros qui voit la cicatrice de l’implant.
Adam : Hum, du jour au lendemain le chef du service a la même énorme cicatrice que tous les agents ennemis, mais personne ne se pose de question ?
Matthew : Sauf le héros, parce que lui il est perspicace tu vois.
Adam : Ah. Attendez, je viens de voir un truc dans votre script. L’implant, c’est l’explosif que Samuel Jackson peut faire détonner à volonté, c’est ça ? Le chef du MI6 s’est laissé convaincre par leurs arguments et direct il se fait implanter une bombe contrôlée par un lunatique ?
Matthew : Euh…regardez là-bas ! Mark Strong ! Ah, je vais le mettre dans le film, je lui trouverai bien un semi-rôle.
Adam : Oui, si vous voulez. Bon, parlez-moi de vos idées côté réalisation.
Matthew : Ah, j’en ai des idées. Du ralenti, des zooms, des zooms au ralenti…
Jane : On en a trouvé un trop swag, sur le talon-lame de la méchante qui découpe du gugusse. Du coup on l’a casé 4 fois.
Matthew : Ah, et une idée super originale aussi, un plan large sur la populace qui se marave, avec une caméra très haute et qui tourne un peu. Lui aussi on l’a casé 4 fois, mais à la suite et dans 4 régions différentes, comme ça on voit que c’est le dawa partout dans le monde à cause de Samy.
Jane : Pour la tension, Gégé [Gégé le monteur, ndlr] va nous faire un montage qui alterne entre le héros qui tatane du quidam et la sidekick féminine obligatoire qui tombe dans le vide.
Matthew : Ouais, il snipe un garde, elle tombe, il fait un salto au-dessus du peuple, elle tombe, il burine des faces au corps-à-corps, elle tombe, il…
Adam : Attendez, elle ne fait que tomber ?
Matthew : En tournant !
Adam : D’accord, tomber en tournant, mais…c’est tout ?
Jane : Bah, c’est une gonzesse aussi. Dans le Petit guide du bon blockbuster que vous nous avez passé, il y avait un truc bizarre, là, « femme forte avec un rôle utile et une scène d’action ». On était pas certain, du coup on a ajouté une sidekick sans qu’elle change trop l‘histoire ; elle va tirer sur un satellite là où il y a personne à affronter et après elle tombe, et on a peur pour elle.
Adam : Ce n’est pas vraiment ce que je...soupire oubliez ça. Dites-moi plutôt ce qu’il y a de tarantinesque dans votre film. Cela ne saute pas aux yeux avec vos personnages et vos…idées de réalisation.
Matthew : Ben, la violence gratuite et à foison. Par exemple, on voulait tacler les Américains, donc on a fait une scène dans une église radicale sudiste où tout le monde s’entretue sur un solo de Lynyrd Skynyrd.
Jane : Hihi, ils vont trop rager en Alabama.
Matthew : Et une autre, on voit que des têtes exploser pendant une minute, mais comme on est PG-13, à la place du sang c’est de la fumée multicolore. Hashtag nyan cat tu vois.
Adam : Hélas, je vois. Vous n’auriez pas par hasard un propos dans votre film ? Même mis là par erreur ?
Jane : Si, si, on critique les smartphones et l’aliéni…sation de l’homme par les technologies de communication, mais c’est super implicite tu sais. C’est parce qu’ils sont tous accrochés à leur smartphone qu’ils deviennent über-violents.
Matthew : Il y a aussi la lutte des classes, mais là-dessus on voulait pas faire aussi implicite. Du coup on a mis un héros d’un milieu défavorisé, dont la mère doit s’acoquiner avec des crapules pour survivre, et au recrutement des services secrets il est en compétition avec des college boys riches, nobles et plus snobs qu’un Parisien dans une fnac qui se moquent de lui parce qu’il est pauvre. Mais ça va parce qu’à la fin il y arrive et pas eux.
Adam : Bon, on va s’arrêter là pour le propos. J'ai une autre question : les fans de James Bond aiment le suspense, les improvisations MacGyver, les gadgets improbables et les traits d’esprit. Vous avez quelque chose pour eux ?
Jane : Bah, on sait qu’en vrai ce qu’ils aiment c’est les James Bond Girls. Pour ça on a ajouté une autre nana, une princesse blonde canon. On s’en est tenu à l’essentiel pour le rôle : elle se fait capturer par les méchants dès qu’elle apparaît, et quand elle rencontre le héros elle lui offre direct ses boobs pour qu’il la libère. Elle sera suédoise, parce que les suédoises c’est trop des chagasses lol tmtc.
Adam : Vous vous rendez compte que les suédois pourraient trouver ça vaguement offensant que vous traitiez leur famille royale de salope dans le film ?
Jane : Non, mais ça va, on dira « princesse scandinave » sans préciser.
Matthew : Oui, et puis le perso nous donne une super réplique.
Adam : Je crains le pire.
Matthew : « If you save the world, I’ll let you do it in the asshole ». 1
Adam reste silencieux, visiblement navré.
Matthew prend un air interrogateur.
Adam : Je dois vous laisser, j’ai…quelque chose sur le feu qui sonne à la porte.
Il se lève.
Jane : Attendez, on vous a même pas dit le titre !
Adam, en s’éloignant : Hate Crime, the Movie ?
Matthew : Non, Homme du Roi, parce que les espions anglais sont au service de sa majesté, vous voyez, c’est subtil. Mais revenez ! On peut le faire, notre film ?
Adam, déjà loin et pressant le pas : Oui, non…je m’en fous !
Le bureau retombe dans un silence étrangement confortable. Matthew se tourne vers Jane avec un sourire satisfait : Ça s’est bien passé non ?
Si quelqu’un a une meilleure explication pour la production de cette caricature d’un machisme patenté à la réalisation creuse et aux personnages simplistes, prévenez-moi. En attendant je vais me faire implanter un pain de C4 dans les rotules pour montrer à un pote que je suis d’accord avec lui.
1 : [sic] Si vous sauvez le monde, je vous laisserai me sauter par le trou du cul [sic] [sic]