Roman Polanski est un maître du cinéma. Qu’il s’enferme dans un huis-clos avec ses acteurs et son public pour disserter de paranoïa ou qu’il verse dans l’épopée, le réalisateur a souvent su se démarquer en termes de mise en scène. Capable d’évoluer à la frontière du comique comme de traiter de drames historiques, il parvient régulièrement à proposer une photographie sublime et une direction d’acteur particulièrement intelligente.
Bon, je reconnais ne m’appuyer que sur une petite partie de son œuvre pour déclamer cela ; pour la suite, je me contenterai donc de parler de sa dernière fiction.
La Venus à la Fourrure est un huis-clos maîtrisé, nettement malsain et mâtiné de psychologie grinçante comme seul Polanski sait les faire. Déjà l’intro, une ouverture un brin grandiloquente avec paysage parisien sous pluie battante et mise en bouche musicale signée Desplat, nous l’assurait : la caméra en première personne nous mène sans formalités dans le théâtre où nous resterons enfermés avec les personnages pour la durée du film. Peut-être même qu’avec cette entrée en matière, Polanski veut nous attribuer un rôle de voyeur dans la lutte de pouvoir qui va suivre.
Outre les murs entre lesquels les deux personnages vont tourner en rond, le huis-clos est aussi celui du réalisateur et des deux acteurs, qui au cours du film évoluent dans leur petit monde privé de faux-semblants, semblant presque oublier le spectateur. A côté de cela, le ton initial du film peut surprendre : des échanges volontairement comiques voire burlesque entre un metteur en scène sérieux et blasé (l’excellent Amalric) et une jeune comédienne écervelée (la non moins excellente Seigner). Mais l’histoire prend rapidement des proportions plus grandes et plus profondes : lorsque le personnage féminin interrompt ses bravades fantasques pour rentrer dans le rôle de théâtre qu’elle est venue répéter, son visage soudainement grave montrant un mélange de hauteur et de malice, Amalric reste bouche bée devant la performance de la comédienne, et nous devant celle de l’actrice.
Par la suite, l’œuvre de Polanski oscille entre échanges houleux et vaguement grotesques entre ces personnages comiques qui ne se comprennent pas et scènes de théâtre hypnotiques installant – de manière fort dérangeante – la fascination des personnages et leur jeu de pouvoir quasi-sexuel. D’un débat relativement simple sur l’interprétation du roman original, le propos évolue progressivement vers des considérations générales sur le jeu d’acteur et de comédien, l’influence potentiellement néfaste du personnage sur celui qui l’incarne.
C’est là le premier ingrédient de la réussite du film : ce plaisir un peu méta que l’on prend à confondre d’une part le comédien et son rôle de théâtre, d’autre part l’acteur et son personnage de film. Amalric livre là une performance exemplaire. Lorsqu’il assume un rôle de metteur en scène (rappelant Polanski lui-même), il semble tiraillé entre son état d’artiste incompris et son obsession grandissante pour la comédienne qui incarne son idée exacte du personnage. Puis il se verse entièrement dans le personnage de la pièce et paraît peu à peu dépassé par le jeu de domination qu’il a instauré. Fort de son expérience en direction de photographie, le réalisateur instaure un savant jeu d’ombre et de lumière pour souligner tantôt l’errance des personnages, tantôt leur ambivalence.
Ébahis, on l’observe alors ajouter sa deuxième couche de confusion : l’échange des « rôles » masculins et féminins. Et je ne parle pas d’un traitement standard façon comédie française insipide (« lol regarde le mec il fait le ménage »). Polanski ne veut pas être drôle, il veut être dérangeant et secouer le spectateur. Après avoir consciencieusement assimilé les comédiens à leurs rôles respectifs, il échange brutalement ces rôles pour nous troubler. On se rend alors compte que chaque personnage portait plusieurs masques, et que tous pouvaient tomber. L’homme devient la femme, le dominateur devient le dominé, la comédienne devient le metteur en scène, l’ingénue devient le psychologue.
A la fin du processus, tandis que le spectateur candide tente encore de démêler ce qu’il a vu, le réalisateur apporte la touche finale. Reprenant les codes de la tragédie classique, il transforme le personnage de Seigner en figure mythologique pour rendre son thème intemporel. Classe. Certes un peu bizarre, mais classe.