Créé en 1944 par les Suédoises au foyer et l’école ménagère, le très sérieux HFI (en français Institut des Sciences Domestiques), décide de mener des investigations pour améliorer la vie quotidienne des Scandinaves. L’objectif est d’améliorer la fonctionnalité des cuisines. Fièrement, un dirigeant du HFI annonce que « La ménagère Suédoise n’a plus à marcher jusqu’au Congo en un an pour servir à manger, le nord de l’Italie suffit. » Schéma à l’appui (des traits plus ou moins épais reliant les endroits stratégiques d’une cuisine type, pour indiquer la fréquence des déplacements), il explique la stratégie rigoureuse utilisée. Les caméras de surveillance ne sont pas à l’ordre du jour, nous sommes dans les années 50.
Nouvelle cible, les célibataires Norvégiens, allez savoir pourquoi. Les observateurs ? Des Suédois apparemment tout aussi célibataires. Parmi eux, Folke Nilsson dont la seule famille est une tante qu’il retrouve en principe chaque Noël.
Comme ses collègues, Folke se déplace avec une voiture tractant une minuscule caravane toute en rondeurs, dont l’élégance vient de sa décoration bicolore (vert et bleu), le bleu symbolisant une vaguelette (attention, pas trop de fantaisie, on représente un institut très sérieux), ce symbole se retrouvant sur le pyjama de Folke.
Folke arrive dans un village envahi par la neige, par un temps très clair, ce qui donne une très belle luminosité aux extérieurs. Il doit observer les déplacements d’Isak dans sa cuisine. Isak est un paysan, la soixantaine, un peu voûté, le crâne franchement dégarni, pantalon large attaché par des bretelles. Un solitaire peu bavard qui a accepté la présence d’un observateur par contrat. Pour la contrepartie qu’il espérait, il s’est fait avoir…
Isak rechigne mais tout est prévu, en particulier un siège du type chaise d’arbitre au tennis que Folke place dans un coin de la cuisine. Installé dessus, cela lui met le sommet du crâne à une trentaine de centimètres du plafond. Bref, il domine la situation !
Ceci dit, Folke reste un intrus. Quelques regards accusateurs et autres petites vacheries d’Isak le soulignent. Folke est un ethnologue qui doit observer en restant parfaitement neutre. Mais bien entendu, la simple présence de Folke change tout. Les échanges de regards en disent long. Pour le spectateur, observateur d’observateurs, c’est d’autant plus réjouissant que le réalisateur (Bent Hamer) se montre capable d’inverser la situation de façon intelligente, discrète et amusante. Bref, dans cette situation d’observateurs, si Isak est gêné car il ne se sent plus tranquille chez lui, Folke l’est tout autant car il sait qu’il viole l’intimité d’Isak. Quant au spectateur, il se délecte de ce face à face qui ne cesse d’évoluer.
Bien évidemment, Isak ne va pas se contenter d’éteindre la lumière en sortant de la cuisine (laissant Folke dans le noir) et d’éviter soigneusement de cuisiner dans cette pièce où il est observé. Et Folke aura bien du mal à résister aux sollicitations d’Isak. La situation dérape le jour où, à court de sel pour son œuf dur, Folke descend de son promontoire alors qu’Isak est sorti. Le retour inopiné d’Isak incite Folke à reposer le sel au hasard. Bientôt, Isak a lui aussi besoin de sel…
Le simple fait de se côtoyer pendant des heures crée des relations fortes, qu’elles soient positives ou négatives. Même dans le silence, la communication s’établit. La tension vécue en commun crée un véritable lien et un simple éternuement peut avoir des conséquences imprévisibles. Tout cela, le réalisateur le met en évidence de façon naturelle, dans un contexte où la loufoquerie est dans les décors, les gestes, les lubies des uns et des autres, etc.
La construction est osée, puisqu’après un début en forme de documentaire très rythmé, le film fait plutôt l’éloge de la lenteur et du temps de vivre. Cela fonctionne, même si Bent Hamer s’est cru obligé d’inclure quelques scènes avec les consultations d’un médecin qui n’apportent rien à l’intrigue. Les relations entre Isak et ses concitoyens, compliquées par la présence de Folke et ses collègues (son supérieur envisage à un moment de l’affecter ailleurs), sont largement suffisantes. Une ambiance complètement décalée qui fait plaisir à voir. Ah oui j’oubliais, les Suédois roulent à gauche, alors que les Norvégiens rouent à droite. Un détail ? Oui, un de plus…
Le film ne précise pas s’il s’inspire de faits réels. Aucune importance, car chaque détail sonne très juste, comme si le réalisateur voulait nous faire comprendre la naissance de l’esprit Ikea. Les interprètes ne dégagent aucun charisme particulier et cela convient parfaitement. Quant aux choix de réalisation, ils sont au service de la narration. Bent Hamer (cinéaste Norvégien) maintient l’attention du spectateur par des angles et prises de vues qui soulignent toute l’absurdité de l’histoire.