C'est un bouleversement sans transition. Dans Knight of Cups, Terrence Malick, cinéaste de sensus et d'ego, potentiellement aussi génial qu'irritant, cède à l'urbanité métropolitaine au point d'excommunier les grands espaces naturels, relégués dans une longue litanie de micro-plans dénués de sens – un chien sous l'eau, un palmier, la galaxie... Christian Bale, affublé d'une allure quasi christique, campe une caricature de scénariste dépressif, en pleine errance existentielle, cherchant douloureusement sa voie, tandis qu'il est occupé à sombrer dans l'ivresse, ou à consommer les femmes, ces « saveurs » fugaces – c'est leur fonction principale ici –, abrité dans des villas aussi vastes que luxueuses, à la vue évidemment imprenable. Des voix off, souvent dispensables et pourtant envahissantes, surlignent péniblement le spectacle : « J’ai passé trente ans non pas à vivre une vie, mais à la détruire » ; « Je n’arrive pas à me souvenir de l’homme que je voulais être » ; « Je suis mort, d’une manière différente » ; « Je veux juste ressentir quelque chose »...


Il est relativement facile de mesurer l'inanité de Knight of Cups. Mais il serait tout aussi tentant de le gratifier d'une portée métaphysique, de sens cachés, comme si la profusion d'images, de paroles et d'effets avait valeur de garantie scénaristique, un puissant trompe-l'oeil que deux mamelles vont venir abreuver : l'argument mythologique, offert en amuse-bouche, et la satire hollywoodienne, expédiée à la hâte et tellement laborieusement que Maps to the Stars en sortirait presque grandi. Pour rappel, des cinéastes de la trempe de Billy Wilder, Joseph L. Mankiewicz ou David Lynch avaient déjà égratigné, plus que de raison, et d'une manière autrement substantielle, l'industrie du cinéma et ses ambassadeurs névrosés, sans pour autant en passer par des dispositifs figuratifs aussi phagocytaires. La décadence qui semble assaillir et accabler le scénariste quadragénaire, évanoui dans le mirage hollywoodien, n'est finalement perçue qu'à travers un flot incessant de musiques, de voix et d'images faisant clairement le deuil de la narration et, partant, de toute construction dramatique.


Les fêtes, les shooting, les discothèques, les plages, la ville de Los Angeles : on épuise vainement les décors, théâtres changeants d'une histoire immuable, où la caméra se prend à s'immiscer jusqu'à devenir intrusive, écraser les personnages, leurs relations, leurs motivations. L'expérience sensorielle, elle, ne souffre évidemment d'aucune contestation : débauche d'effets et de couleurs, mouvements permanents, musiques éclectiques, visions immergées, fisheye, échelles de plans variables, cadrages singuliers, lumière sublimée... Terrence Malick maîtrise son art à tel point qu'il parvient à hisser son objectif au rang de personnage à part entière, ce qui a pour effet indésirable de mettre davantage de distance encore entre le spectateur et les protagonistes qui hantent l'écran. La radicalité telle que conçue par László Nemes dans Le Fils de Saul avait un sens profond, judicieux et légitime ; celle de Knight of Cups, hors de propos, essentiellement démonstrative, laisse une impression tenace d'emphase et d'inachèvement.

Cultural_Mind
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le 5 mai 2017

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