Le plus grand évènement, le plus important de notre Histoire, qui n'a jamais connu son pareil, est complètement passé inaperçu. Cet évènement est le suivant : la transition de l'ordre ancien des chose, ou de "l'environnement naturel" [...] vers un environnement technologique, vers une technologie de masse qui héberge la vie.
Godfrey Reggio, L'Essence de la Vie
Sans exagération, regarder Koyaanisqatsi, c'est vraiment vivre une expérience unique. Toujours sans exagérer, je dirais même qu'il s'agit d'une expérience quasi-transcendantale.
En l'espace d'une heure et demie, le spectateur est invité à adopter un point de vue omniscient sur l'évolution de l'humanité, notamment à travers la fenêtre de la société moderne. Par la magie du montage et des transitions, appuyées d'une musique minimaliste et intense, notre regard est transporté dans divers lieux et temporalités, et on peut se contenter d'observer les spectacles de la nature et de technologie.
Nous faisons donc face à un long crescendo aussi bien visuel qu'auditif, observant d'un regard toujours plus intéressé et concerné les différentes facettes de l'apothéose de notre civilisation. Des cavernes mystiques avec une scansion presque rituelle jusqu'à la société post-industrielle, l'évolution y est abordée avec une échelle de temps malléable.
Nous acquérons presque la vision d'un dieu, qui regarde l'espèce évoluer, et ne fait rien d'autre que constater l'ampleur et la vitesse de l'évolution, la construction et la destruction, la systématisation.
Le constat est clair : l'Homme a érigé une civilisation complètement disproportionnée. On se noie littéralement dans ce flot permanent de vas-et-viens. Les voitures sur les autoroutes se confondent, s'apparentant presque à des circuits électriques ou des particules en mouvement, la structure des villes ressemble à une puce informatique...
Nous n'utilisons pas la technologie. Nous vivons la technologie.
Godfrey Reggio, L'Essence de la Vie
Si les images sont vertigineuses, elles sont également accompagnées par la musique pulsée et hypnotisante du compositeur répétitif Philip Glass. Les nombreuses répétitions changeantes et la vitesse des flots de notes sont pour moi une métaphore musicale de l'évolution et des individus noyés dans un tout. On peut aussi la voir comme métaphore de la société industrielle, axée sur la production sans cesse, l'efficacité, ou le fordisme, montré très concrètement dans ce film.
Les images et la musique fonctionnent de manière organique.
Philip Glass, L'Essence de la Vie
En plus de la profondeur des réflexions que suggère ce film, il est visuellement magnifique, d'autant plus que la musique de Glass et les images de Ron Fricke sont en parfaite osmose (rythmes parfois simultanés et atmosphères musicales et visuelles coordonnées). Le montage a pris 4 ans, incorporant de nombreuses modifications et réécriture, jusqu'à obtenir une alchimie absolue.
Si certains y voient un message écologique ou d'autres un éloge de la technologie, Koyaanisqatsi propose en fait une lecture personnelle, appelant à notre sensibilité et notre ressenti. Comme le dit Philip Glass, ce film donne l'impression de voir le monde pour la première fois.