La première fois que j'ai entendu parlé de ce film, c'était au détour d'une conversation avec un "tiens ça me fait penser à Koyaanisqatsi, tu devrais le regarder" sans me douter que je venais d'entendre le titre d'un monument du cinéma documentaire. Il m'aura fallu alors une deuxième recommandation du film quelques jours plus tard pour que je me décide définitivement à me lancer dans le visionnage du chef-d'oeuvre de Godfrey Reggio.
Je considère le cinéma comme le plus grand centre d'expérimentation jamais crée, ou au fond toute chose peut se retrouver confronté à une alchimie complexe d'essais et de langages. Seulement, certains films plus que d'autres arrivent à se saisir de ce champ d'expérimentation pour proposer ce qui devient alors une véritable expérience, car voir Koyaansqatsi, c'est en effet vivre une expérience. Expérience de l'histoire du monde, expérience de la folie humaine, expérience du cinéma.
Lorsque j'ai cherché à regarder Koyaanisqatsi, je l'ai trouvé en version intégrale sur youtube. Je clique sur la vidéo, je mets mon casque, je me lance, et me voilà immédiatement déconnecté de tout ce qui se passe autour de moi, happé par la profonde vérité de ce qui se déroule sur mon écran. Il m'aura fallu 20 min pour me rendre compte que voir le film à l'envers n'étais pas prévu. En effet, cette vidéo était en fait une version inversée du film ou tout va à reculons en commençant par la fin du film. Ce que je voyais n'était peut-être pas l'expérience prévue, mais c'était la mienne et cela n'a pour moi que d'autant plus révélé ce qu'était ce film. Car c'est justement à travers ce début inversé que je me suis rendu compte de la puissance universelle de ces images et des ces motifs musicales hypnotisants composés par Philip Glass. Là où réside le génie de la composition musicale et visuelle de Koyaanisqatsi c'est justement d'avoir tellement réussi à se saisir des possibilités infinies du cinéma pour exprimer un regard sur l'humanité qui à l'endroit comme à l'envers est toujours aussi impactant.
L'intelligence formelle et réflexive qui se cache derrière ce long-métrage me fait considérer avec une certaine admiration voir intimidation le travail monumental de recherche du réalisateur qui a su consacré son existence à révéler avec force ce qui constitue la notre. De plus, j'ai été frappé par l'incroyable modernité de ce film dont le discours audiovisuel est presque encore plus retentissant aujourd'hui que lors de sa sortie il y a plus de 40 ans.
En voyant ce film je ressens la même sensation de sidération vécue lors de mon premier visionnage de l'Homme à la caméra de Dziga Vertov, mais ici se rajoute un degré supérieur d'élévation et d'admiration face à l'échelle tout autre que propose le long-métrage de Godfrey Roggio comme une fable de l'existence.
Koyannisqatsi, c'est alors un film enivrant, captivant, en avance sur son temps qui a su utiliser tous les moyens du cinéma pour nous projeter un moment hors du "moi" pour contempler ce que "nous" sommes.