Koyaanisqatsi
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Koyaanisqatsi

Documentaire de Godfrey Reggio (1983)

Il y a les films qui se taisent, et les films qui parlent.
Les films qui agissent, les films qui regardent.
Les films de souvenir et les souvenirs de film.
Les films qui ferment les yeux et les films qui les ouvrent.
Les films qui disent "au revoir", et les films qui disent "adieu".
Les films qui ne racontent pas d'histoire et les films qui racontent une histoire.
Il y a les films qui rient, et les films qui pleurent.
Les films qui ont le point de vu des dieux, et les films qui ont le point de vu des hommes.
Il y a les films qui voyagent, et les films qui restent.
Les films qui se souviennent et les films qui oublient.
Enfin, il y a les films que j'ai rêvés puis réalisés, et les films que j'ai rêvés mais que je n'ai jamais pu réaliser.

De ces doux mots d'Éric Pauwels introduisant sont Les films rêvés, je lui répond que je l'ai trouvé.
Je l'ai trouvé, mon film rêvé.

Si je vous propose cet acrostiche, c'est parceque Koyaanisqatsi m'a touché au plus profond de mon atma et que je souhaite lui adresser une lettre personelle.
C'est un fantasme, une réponse à mes concepts inachevés, une voie vers ma rédemption psychique.

Kaléidoscopique.
Du jaune morne et primaire des plaines arides américaines, prévaut le panel coloré des lumières de la ville. Lumières bleu, verte ou rouge, elle sont brillantes, fragiles voire désolées, nées de la technicité industrielle, de la pucelle Mère Nature ou du chaos émanant d'un vibrant décollage de fusée.
Le rouge qui prédomine dans le film recouvre les caractères du titre et s'impose comme maître du jeu. Cette couleur qui représente en société aussi bien la passion que la haine indique ici l'étrange capacité de l'humain à puiser d'un corps étranger et inaltéré ses plus profondes ressources. Cette habilité, devenue au fil des siècles vicérale, fait preuve d'une meticulosité procédurale que l'on symbolise alors par une simple autoroute scindée en deux catégories : d'un côté les éléments qui viennent à notre rencontre, blancs et visiblement sains, d'un autre ceux qui nous quittent, rouges et visiblement souillés.

Organisationnel.
Un début, un milieu, une fin. Le film se compose telle la vie active d'un être moyen :
Une naissance prodigieuse : La pureté artistique des peintures préhistoriques, suivie d'un cheminement le long des différents panorama étatsuniens, jusqu'alors indéfrichés.
Un entre-deux mouvementé : Ce que l'humain agnostique considère comme la seule phase importante de la vie. Ce milieu est ici representé par une accélération des plans (notamment l'utilisation novatrice du time-lapse) et de la musique, comme victime de la pression de l'industrie.
Un glas tout en douceur : Le calme après la tempête. Comme dans un élan de maturité, le rythme s'atténue. Un plan d'hélicoptère lent et montant film un urbanisme auquel on ne s'identifie plus. Les circuits imprimés sont disparates, ils se confondent avec la ville et nous suggèrent de rester dans le système. Mais l'innovation chute, ce n'est plus elle qui importe. Fatalement, la mort deviens l'unique réelle rédemption et, en se bousculant un peu dans l'ascenseur métallique, nous voilà en route vers le paradis.
Tu es poussière et tu retourneras en poussière.

Yeux
Sergio Corbucci disait : "Le cinéma c'est le visage, les yeux et le chapeau". Si je place cette citation, ce n'est pas tant pour rendre un hommage discret à une légende de l'immense genre qu'est le western italien, mais bien pour appuyer sur la puissance inégalée qu'est l'art de capturer les émotions pures d'un visage.
Au milieu de l'immense vacarme industriel apparaissent des regards.
Ils sont figés, surpris, souriants, songeurs, encharibottés ou évasifs.
Ils appartiennent à des femmes, des hommes, des couples, des pilotes de lignes, des passants, des financiers, des serveuses ou des hommes-publicitaires.
Ils tissent un lien infrangible entre le documentaire et le spectateur.
Ils racontent tous des histoires personnelles.
Ils sont la vitrine de la vie d'un inconnu.
Et ensemble, ils sont la vitrine de l'humanité.

Anthologique
Car Koyaanisqatsi ne rajeunit pas ni ne vieillit. Car il a un message du peuple, par le peuple et pour le peuple. Car il s'adresse à tous les quadrumanes sapiens de cette Terre. Car il utilise tout pour démontrer une seule chose.

Atemporel
Il dessine un chemin à travers les sentiers du temps. Ce premier épisode d'une trilogie qui s'étalera sur plus de trente ans n'a pas de limite. C'est un messager qui change constamment d'auditoire, sans jamais altérer son principe fondamental. Il est cette physique incontrôlable de l'explosion qui engendre des dégâts collatéraux continuellement.

Nature.
C'est la composante essentielle de ce métrage, elle est bienfaisante, elle est vierge, elle est l'origine mais surtout, nous ne la méritons pas. Avec la croyance écologiste qui s'intensifie au début des années 70, Godfrey Reggio délivre une cantate raimbaudienne de l'environnement. Sans accuser ouvertement l'Homme de péchés commis, le réalisateur préfère transcender les convictions radicales écologistes en créant une synergie visuelle entre l'humain et son environnement. C'est en mêlant la linéarité des routes et des circuits électriques à la difformité des nuages et des canyons qu'il encourage la cohabitation dans l'optique d'un développement perrène.

Ineffable
Le premier sentiment en sortant de cette séance. Ce moment où l'on se sent transcendé mais on ne sait pas encore réellement pourquoi. Cet instant précis ou la submersion d'émotions crée le vide absolu, dissociant les derniers neurones restants en créant une sorte d'extase incomprise. C'est comme écouter la 5e de Chostakovitch, visionner la séquence finale sous la pluie dans Blade Runner, admirer *La scène des massacre de Scio *de Delacroix ou savourer un plat de Maité, ça ne se décrit pas mais se ressent. Il est, de fait, compliqué de poser des mots sur l'inexplicable et il est donc, de droit, une tâche ardue que de définir en quelques lignes Koyaanisqatsi.

Sensitif.
Les caractéristiques du visuel ayant déjà été largement élogées précédemment, cette section se repose principalement sur le son.
Voix suaves, clericales voire angéliques, c'est ainsi que seront prononcées les seules paroles du film, se résumant elles-mêmes à un seul mot : "Koyaanisqatsi". Chanter ce terme amérindien (désignant une vie tumultueuse/agitée) avec un ton sectaire qui use de sa redondance pour le mystifier tel un dogme est l'explication de l'élan poétique qui a poussé Godfrey Reggio à réaliser ce documentaire. Il fait prendre conscience à tous ceux qui ont eu la curiosité étymologique que notre nature humaine nous pousse à la sûr-consommation et au manque de retenu, menant indéniablement à une chute. Mais pour ceux qui écoutent le chant cérémonial sans s'informer d'avantage, l'interprétation peut s'avérer être différente. En comprenant par exemple qu'il s'agit d'une sorte de force divine, une incarnation de la Nature jugeant l'expansion et les actes humains.

Quid cogitas
Cette section, elle appartient à vous chers lecteurs. Car Koyaanisqatsi est une œuvre d'art mouvante, c'est une œuvre que l'on interprète personellement. Vous pouvez adhérer à mes convictions filmiques comme en être débectés. Et de ce fait, je vous le demande chaleureusement : Quid cogitas hoc film ?

Automatisation,
industrialisation ou encore mécanisation, les aspects les plus évidents du documentaire car ils sont les piliers fondamentaux de la lutte écologiste. La remise en question de ce qu'est le "progrès" quand ce dernier mène à la déchéance d'un environnement innocent.
Le réalisateur ne demande pas d'aller jusqu'à une sclérose de la société, mais de prendre conscience des limites physiques et morales que l'on doit s'imposer. Hurler, hurler à l'harmonie de l'existence...

Terre
Pour un sujet si vaste, je vous propose les doux (et bien plus justes) mots de Paul Eluard qui coïncident étonnement bien aux propos de Koyaanisqatsi :
La terre est bleue comme une orange
Jamais une erreur les mots ne mentent pas
Ils ne vous donnent plus à chanter
Au tour des baisers de s’entendre
Les fous et les amours
Elle sa bouche d’alliance
Tous les secrets tous les sourires
Et quels vêtements d’indulgence
À la croire toute nue.
Les guêpes fleurissent vert
L’aube se passe autour du cou
Un collier de fenêtres
Des ailes couvrent les feuilles
Tu as toutes les joies solaires
Tout le soleil sur la terre
Sur les chemins de ta beauté.
L’amour la poésie, 1929

Sec
Eh bien oui.... Je suis à sec d'adjectif ! J'avoue ma faiblesse de ne pas avoir rempli totalement ma part du contrat. Mais c'est ce qui fait aussi la beauté de cette œuvre, avoir réussi à.... bon ferme la Pablo sérieusement t'as pas besoin de toujours avoir réponse à tout.

Istaqsinaayok
Je me suis rendu compte, à mes dépends, que Koyaanisqatsi est un film palindromique. Un film que l'on peut visionner dans les deux sens, procurant deux sensations différentes. Quand sa forme originelle nous rappelle les fondamentaux écologiques, les vices de l'industrialisation, la chute de l'humanité mais aussi le soupçon d'espoir qui flotte encore dans notre atmosphère polluée, sa forme inverse est un rappel à l'ordre. La destruction se métamorphose en création, la vie décélère, la productivité devient inféconde et l'existence est ramenée à sa plus pure nature. Le message n'en devient que plus percutant, et de mes glandes lacrymales harcelées en discontinue d'une photographie somptueuse sortent... des larmes.

> Si l'on extrait des choses précieuses de la terre, on invite le désastre.

> Près du Jour de Purification, il y aura des toiles d'araignées tissées d'un bout à l'autre du ciel.

> Un récipient de cendres pourrait un jour être lancé du ciel et il pourrait faire flamber la terre et bouillir les océans.

PabloEscrobar
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le 25 juil. 2024

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