Inca de farce mineure
Me souviens très bien, quand ce machin est sorti, me suis dit qu'il fallait vraiment arrêter le Disney annuel, que deux images et une bande-annonce suffisaient à comprendre que c'était foutu,...
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le 20 mai 2013
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Au moment de l’écriture de ce petit avis, sur la page Wikipédia française le lecteur tombait dès l’introduction sur cette phrase lapidaire « [Le film] apparaît comme le premier exemple d'une période de disette créative ». La mention a depuis été corrigée : « Le film marque la fin de l'âge d'or des années 1990 des studios Disney et apparaît comme leur dernier film bien reçu avant une période de disette créative ».
S’il est assez évident de souligner que la décennie 1990 de Disney fut exceptionnelle, c'est le plus souvent pour déprécier la suivante, malgré quelques belles réussites : Lilo et Stitch, Frère des ours ou Bienvenue chez les Robinson par exemple. Et à ce petit jeu des bons éléments, Kuzco est tout de même loin d’être un mauvais exemple. Mieux : c'est lui le plus fort, si on suit sa mégalo.
Certes, le projet connut une genèse compliquée. Si le cadre est resté le même, dans un contexte inca, la décision initiale du réalisateur Roger Allers (un des grands noms de Disney depuis le succès de son Roi Lion) était de proposer une aventure épique et rocambolesque. Mais la production s’enlise, la compagnie lui confie un co-réalisateur, Mark Dindal, auréolé d’un certain succès (public à défaut de commercial) avec l’excellent Dany, le chat superstar, film animé et alors concurrent de la firme aux grandes oreilles. Roger Allers préfère s’en aller, laissant les coudées franches au nouvel arrivé.
D’une manière bien peu honnête, ce climat houleux n’apparaît pas dans le deuxième DVD de l’édition spéciale, pourtant rempli de documentaires, tous chaleureux et bienheureux. Mais cette transformation douloureuse est le sujet du documentaire « The Sweatbox » réalisé par Trudie Styler, femme de Sting, impliqué malgré lui dans ce passage de relais car ses compositions originales ont été retoquées. Il est impossible de le visionner légalement, Disney a les droits dessus, mais des copies pirates circulent.
Et pourtant, le résultat final reste une belle surprise, une production moins ambitieuse mais qui s’est reconstruite sur des qualités évidentes, celles de ses personnages hauts en couleurs. Kuzco, l’empereur mégalo est l’un des Disney les plus drôles, l’un des plus excentriques aussi, mais sans jamais perdre pied, grâce à quelques figures qui ont les pieds sur terre.
L’un des traits de génie du film est de faire de son personnage principal un jeune empereur égocentrique, mégalo, qui a l’exubérance de sa jeunesse mais aussi personne pour le contredire. Ses caprices font la loi, ses folies doivent être appliquées. Dans d’autres productions, il serait le méchant, l’antagoniste principal. Ce bon vieux Pacha, un père de famille gentil et placide, en fait les frais, quand Kuzco lui annonce que son village va être rasé pour sa nouvelle résidence, Kuzcotopia, sa dernière lubie.
Tout le film pourrait partir de Pacha, en lutte contre le mégalo Empereur afin de protéger sa famille et son village. Mais tous deux vont se retrouver ensemble, par la force d’un maléfice. Kuzco est transformé en lama par Yzma, conseillère de longue date du trône, ce qui n’amuse plus guère l’Empereur. Dommage, elle est aussi un peu sorcière sur son temps libre. Pacha est donc chargé de ramener Kuzco à la capitale inca, afin de contrefaire le sort, il le fait sous la promesse que son village sera épargné, mais le lama ne semble guère plus honnête que par le passé.
L’histoire globale n’a pas grande importance, car ce sont les personnages qui sont au centre. Ils sont parfaitement définis, proches de certains comportements plus réalistes, loin du sauvetage par le prince charmant de passage ou de la revanche de la mort de son père entre autres clichés. Kuzco est donc l’égoïste roi, un petit garçon capricieux, mais aussi enjoué et dynamique, à qui il ne manque qu’un contrepoids pour exprimer un peu plus d’humanité, quelqu’un qui pourrait lui montrer une autre facette des comportements humains. Cette évolution il pourra la trouver grâce à Pacha, bon père de famille, un socle humain. Ses enfants sont turbulents mais affectueux. Sa femme n’est pas une potiche, elle a du caractère et c’est d’ailleurs la première fois qu’on voit une femme enceinte dans un dessin animé Disney. Pacha a un bon fonds, c’est évident, mais il ne faudrait pas non plus le prendre pour une bonne pâte, il a du répondant. S’il accepte d’aider Kuzco, c’est pour lui-même et les autres, il ne le laissera pas se dérober à sa promesse. Leur relation évoluera dans le bon sens, mais avec prudence, avec des faux pas. L’un et l’autre apprendront à s’apprécier et à se respecter, leurs différences mais aussi leur complémentarité seront le sujet de nombreux gags et de dialogues pas piqués des hannetons.
Pourtant, si leur relation est à la fois piquante et touchante, ils ne sont pas loin de se faire piquer la vedette par Yzma et Klonk, son fidèle assistant. Si Yzma est assez classique, arriviste et aux mauvaises intentions, sa vilenie est déformée par son acolyte Klonk. Ce massif bonhomme est un être sans mauvaises intentions, très premier degré mais riche de nombreuses compétences, dont LV3 écureuil. Ses interventions sont à côté de la plaque, même s’il ne s’en rend pas vraiment compte, au détriment d’Yzma qui, toutefois, se laisse parfois gentillement emporter par ses idées. La bonhomie de Klonk fait des étincelles, ses répliques sont hilarantes. Il est difficile de ne pas être marqué par un tel personnage, bien différent des standards habituels de chez Disney.
C’est cet humour dans les dialogues qui fera le plus facilement mouche, surtout chez les plus grands, tellement il est fin et moqueur ou parfois décalé et absurde. Mais les péripéties de Kuzco, Pacha, Yzma et Klonk se feront aussi à leurs dépends, pour un humour de la chute plus visuel, plus soutenu que dans les autres productions Disney, rappelant un peu plus l’énergie folle des Looney Tunes et d’autres cartoons.
Alors certes, le film n’impressionnera pas les mirettes avec des séquences époustouflantes et virevoltantes, où les gros moyens sont déployés. Pas de gnous transformateurs de lions en carpettes. Pas de danse dans un bal avec une Bête. Pas de sauts de lianes en lianes. Mais si son charme sera plus discret, il n’en sera pas moins efficace. Ses décors incas et gigantesques reflètent la mégalomanie de Kuzco mais sont mis en valeur dans de très beaux plans d’échelle. La nature de ce Pérou parfois champêtre parfois plus sauvage, pour le malheur de ce pauvre Lama, est elle aussi bien représentée.
Mais il y a aussi un énorme travail sur la stylisation des personnages, au trait un peu piqué, doucement excentrique. Il y a un énorme travail sur les animations du visage, une spécialité des studios Disney, ici pertinemment utilisé pour appuyer les effets comiques et les exagérations des sentiments. Les personnages sont au centre de Kuzco, pour leur faire exprimer tout leur potentiel.
Kuzco, l’Empereur mégalo s’est peut-être construit sur des larmes et du travail perdu, mais c’est aussi le cas de bon nombre de projets Disney ou d’autres grands studios, amendés et remaniés plusieurs fois. Loin d’être annonciateur d’une « période de disette créative » ses personnages ambivalents et son humour à la fois classique mais aussi plus moderne (dans son ton piquant) témoignent pourtant d’un ton rare, enjoué et hilarant, riche en moments forts et en répliques incroyables. Sans poudre aux yeux technologique et sans effets de manche utilisant la 3D, sans princesses à sauver, sans quête épique, etc., ça c’est Kuzco.
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Créée
le 22 juil. 2022
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