Peut-on être gay et trash ? Sans conteste possible, oui. En bon disciple de mes groupes de metal favoris et de toute une culture "underground" musicale et cinématographique, je ne pouvais rater l'événement qui permit à CinéNasty et aux Méduses (un cinéclub spécialisé dans l'horreur, fantastique, séries B et Z) de rencontrer l'In&Out, un festival de cinéma LGBT niçois. Au programme : un Bruce Labruce, L.A. Zombie. Ce nom ne vous dit rien ? Pourtant Labruce fait régulièrement parler de lui, dans des revues certes (très) spécialisées comme Mad Movies ou Têtu, mais aussi dans Première, où, aux côtés d'Andrew Blake, il constitue un metteur en scène esthète à sa manière du milieu porno (essentiellement gay pour Labruce). Oui, vous avez bien lu. Labruce réalise des films hybrides qui mêlent propos social, délires oniriques et scènes pornographiques souvent assez trash, comme la fameuse séquence moignon de Hustler White.
Arrivée au cinéma, ambiance chaleureuse, beaucoup de monde, beaucoup de jeunes, de belles personnes (d'un point de vue moral et/ou physique, cela s'entend). On papote un peu avec les connaissances, on apprécie la déco (parfois corporelle) et on s'installe : première surprise, Labruce a enregistré rien que pour nous, niçois, une petite vidéo de lui-même nous souhaitant bonne séance et promulguant la version DVD "hardcore" de son film. Ca fait toujours plaisir.
Mais le film n'est pas un chef d'œuvre, loin s'en faut. En fait, devant les nombreuses qualités et les énormes défauts, je vais procéder par "J'aime" / "J'aime pas".
Le pitch ? Un zombie sculptural mais bleu comme un schtroumpf, campé par François Sagat, une star du X gay, émerge du Pacifique et se dirige vers Los Angeles. Il est pris en stop par un jeune-émo-goth-mignon qui finit dans le décor, les tripes à l'air. Notre zombie sort alors son sexe énorme et bleuâtre (avec une prothèse curieuse, un gland rigide et pointu qui expulse un liquide rougeâtre peu ragoutant) et copule avec le macchabée, utilisant ses plaies béantes comme orifices. Le cœur se remet alors à battre, et, miracle, le jeune éphèbe est ressuscité. Errant dans les quartiers infâmes de la métropole californienne, le zombie croise divers cadavres qu'il ranime avant de finir sa course dans un cimetière. L'avant dernière séquence montre quelques acteurs célèbres du X gay, dont le très beau Francesco D'Macho.
J'aime :
- le maquillage du film, à la fois réaliste dans les scènes de boucherie-charcuterie et onirique dans les teintes éclatantes arborées.
- l'humour du film et sa revendication nanar.
- la présence physique de Sagat, taillé comme une statue grecque de Zeus avec l'outillage d'un Priape.
- l'audace de mêler allègrement un brûlot politique et social, un film de zombie et un film porno.
- la dimension sociale du film, où le zombie apparaît comme une émanation de la ville elle-même, qui contemple hagarde, une population de rejetés et de marginaux (bandits, clochards, drogués).
- le travail sur la musique, étonnamment crépusculaire et réussie.
- l'argument de l'histoire : ramener à la vie par le sexe. Mais ceci va être nuancé toutefois.
- la durée du film : à peine plus d'une heure, plus aurait été vraiment lassant.
- le montage-maquillage du film : suivant les rencontres et les "prestations" du zombie, son maquillage est plus ou moins achevé. Séquence curieuse où il est à moitié maquillé car il couche avec un homme seulement blessé.
- l'atmosphère onirique et fantasmée du film, qui ne nous dit jamais si tout cela arrive réellement ou si on reste dans le domaine d'une pulsion proprement scopique : à la fin, le zombie regarde les 4 acteurs se faire massacrer par la fenêtre; quand il les ranime, il est à la fois à l'extérieur et à l'intérieur de la pièce, comme s'il ne faisait que s'y projeter.
Je n'aime pas :
- la confusion du scénario, qui ne fait que montrer sans jamais dire. Ainsi, les nombreux faux-raccords du film restent-ils ambigus : sont-ils délibérés et font-ils sens, ou au contraire sont-ce des oublis qui témoignent d'un regrettable amateurisme ?
- la mauvaise interprétation des acteurs du film : Sagat est patibulaire et son rôle ne lui demande que ça, mais par exemple, Francesco D'Macho, même s'il est superbe, ferait mieux de rester dans domaine de porno traditionnel.
- L'aspect trop linéaire et répétitif du film, qui accuse un manque de rythme dommageable : un mort, on couche avec, on part, un autre mort, etc.
- la fin, trop évasive : que fait-il au juste ? Où est-il réellement, est-ce un cimetière humain, d'animaux de compagnies (des noms curieux sur les tombes) ou un cimetière métaphorique ? (Il creuse la terre de la tombe "Law" = la loi).
- la scène uro est totalement inutile : que Sagat fasse cela dans un porno classique, OK, vu son physique on devine le public auquel ses films sont destinés, mais là, à quoi bon le montrer en train d'uriner dans la rivière-égout pendant de trop longues minutes ? Pas grand plaisir esthétique si ce n'est celui, assez curieux tout de même, de contempler ce colosse en guenilles pisser puis se laver dans l'eau où il vient d'uriner...
Voilà, un film qui réserve de bonnes idées de mise en scène, notamment les séquences nocturnes aux lumières vives, comme hallucinées, mais qui s'étire un peu en vain, sans jamais nous dire ce qu'il advient de ces "victimes", ni ce qu'est réellement cette créature. On aurait aimé plus de clarté dans le propos. A noter, la présence au casting d'un acteur de Hustler White, ex de Madonna. On retiendra surtout l'audace jouissive de certaines scènes, où temps et espace s'étirent à loisir, comme ce carton modeste qui prend les dimensions d'une pièce à vivre. Poésie morbide, humour désenchanté et vedettes du porno gay pour un film qui s'inscrit délibérément en marge du cinéma traditionnel. La version "hardcore" est une version longue du film, où les scènes pornos sont étendues et réalisées avec moins de maquillages (il ôte sa prothèse répugnante par exemple, parce que la scène de fellation dans le film avec ce gland en caoutchouc est particulièrement glauque.)
Je me demande toujours si le message n'est pas un peu ambigu : certes il les ramène à la vie, mais à quelle vie, et à quel prix ? En les arrosant de foutre-sang, en les laissant les tripes à l'air... Le pas à franchir pour comparer ces rapports sexuels pour le moins inhabituels à une inoculation plus ou moins consciente du VIH est mince, selon moi.