Du livre, Nicole Garcia garde beaucoup de choses : elle change certes le nom des personnages, condense le récit en omettant certaines scènes, en en fusionnant d'autres, mais elle conserve le principal. De l'écriture d'Emmanuel Carrère elle conserve surtout sa froideur, sa distance et sa violence, parfois.
Mais contrairement au livre du même nom, grand livre à l'implacabilité totale, la réalisatrice déconstruit le récit de Jean-Claude Romand (ici rebaptisé Jean-Marc Faure), et le film souffre ainsi, et ce dans sa première heure, d'une complexité chronologique inutile, que le montage saccadé, aux coupes parfois maladroites, ne sert pas. Garcia se perd parfois un peu en rendant brouillonne une histoire qu'un récit tout simplement chronologique aurait rendu plus facile et en montrant des scènes d'interrogatoires sorties de nulle part, et trop peu nombreuses pour réellement se faire parti pris de narration... De plus, et c'est un parti pris honorable, pour le coup, elle fait de Jean-Claude Romand d'emblée un personnage trouble, perdu, évasif, effacé et triste, là où les descriptions de Carrère et les témoignages de ses proches faisaient de Romand un personnage discret, serviable, d'une gentillesse et serviabilité rares. Daniel Auteuil met toute son âme à interpréter ce difficile personnage, et nous livre des scènes tout à fait remarquables, où les dialogues ne sont que doubles monologues, lui, se parlant pour lui-même, de sa voix basse et morne, donnant au spectateur l'envie de le secouer.
Heureusement, Garcia adapte bien mieux le récit, et plus chronologiquement, dans une seconde heure, dense en enjeux et angoissante, bien plus proche des faits (même si la réalisatrice ne peut s'empêcher, et ce pour rendre plus haletante l'intrigue, de faire voir aux personnages des choses de Romand qu'ils n'ont en vérité jamais vu - quand la femme remarque que son mari rempli des bidons d'essence, quand sa mère se demande pourquoi son fils embarque la carabine ou bien brûle des papiers, au fond du jardin - ), et s'attarde suffisamment longuement mais avec une froide distance aux terribles scènes de meurtre, dures mais nécessaires, qui font battre fort le cœur.
Si l'adaptation aurait pu être bien meilleure, Garcia ne parvenant pas, contrairement à Carrère, à rendre réellement incompréhensible le fait que tout le monde y aie cru et que personne n'aie suspecté, questionné, et ce pendant si longtemps, elle reste tout de même efficace, servie par la sublime bande originale du rare Angelo Badalamenti, et réserve à Daniel Auteuil l'un de ses meilleurs rôles.