Ce film est l'un des mes films fétiches du cinéma français. Je l'ai découvert en 2011 sur France 3 et l'ai revu plusieurs fois dont l'an passé. Cette critique se base sur ce dernier visionnage.


Emmanuel Carrère aime les récits puzzles, Nicole Garcia l'a parfaitement comprise.
« L’adversaire » démarre par le plan d’un garçon emmitouflé marchant dans la neige (nous comprenons plus tard que le personnage principal jeune). Après, séquence sur Jean-Marc Faure (le long-métrage a changé les noms des Vrais protagonistes), qui est seul dans sa demeure familiale, appelant sa femme qu’il a tué peu avant. On revient en arrière où une journée ordinaire en tant que mari aimant, bon père de famille et ami fidèle nous est narré et après c’est un vrai bordel chronologique : ainsi, il y a de multiples flash-backs mais avec des séquences se déroulant chronologiquement encore après la fin de l’histoire : vous comprenez pas grand-chose ?


Car oui « L’adversaire » est un puzzle, un puzzle mental, celui de Jean-Marc Faure.
Car personne ne comprendra jamais pourquoi cet homme a agit ainsi : s’est inventé toute une vie, et Nicole Garcia cherche en sachant parfaitement qu’elle n’arrivera pas à l’expliquer.
Outre le montage donc bordélique mais parfois assez drôle (une séquence nous montre Faure avec son ancienne maîtresse notant un rendez-vous pour le 9 janvier (soit quelques jours après), il retourne les pages avant qui sont vides évidemment et s’arrête à la semaine de Noël… qui nous est montré juste après).
« L’adversaire » pour simplifier (bon courage, c’est pour ça que c’est une œuvre très difficile à raconter par écrit) se déroule sur quatre temporalités : celle où on voit sa vie en apparence banale mais surtout faite d’errances (j’ai toujours beaucoup aimé ces scènes éloquentes où on le voit ne rien faire notamment lorsqu’il se marre assis à dans sa voiture sur le rebord d’une autoroute en écoutant un sketch de Coluche) ; celle où il s’enregistre par cassette où il avoue son imposture ; celle où il vient de tuer sa famille et erre dans sa maison (en regardant parfois ces mêmes cassettes) et celle où deux de ses proches : son meilleur ami et son ancienne maîtresse sont questionnés par un policier.
Je pense que « L’adversaire » fut tourné chronologiquement et que Nicole Garcia avec ses monteurs à tout mélanger après, mais là on se dit : elle a fait forcément au hasard, mais en fait pas du tout.
Chaque séquence a une place précise, on sent bien sur qu’il y a un plaisir de cinéaste à démonter son œuvre chronologiquement (comme Gus Van Sant l’avait fait pour « Paranoid Park » par exemple), mais c’est mine de rien, petit à petit, un puzzle qui se reconstitue, car il y a tout de même un fil chronologique : la chute de cet homme, qui se retrouve pressé par un beau-père très gourmand financièrement,


(et qu’il tuera de manière très subtile, on note que ce meurtre arrive assez vite et semble avoir eu lieu plusieurs années avant les autres)


s’éprenant pour Marie : une femme pulpeuse (Emmanuelle Devos), au visage et au corps de rêve, se lassant assez vite des hommes qui feraient tout pour elle.
Il y a une scène que j’aime beaucoup, alors qu’ils se connaissent à peine, dînant au restaurant, Jean-Marc dit à Marie, avec une petite voix : « Je t’aime. », elle a clairement entendue et réagit au quart de tour en disant que c’est assez déplacé, etc. Mais plus tard (on ne sait pas trop comment, le puzzle n’est pas complet, ça aurait été trop simple), elle se montre assez aventureuse envers lui, au pieu.
Jean-Marc me fait beaucoup penser à moi, d’ailleurs dans une scène où il craque en larmes, ça m’a foutu presque les larmes aux yeux, alors que pourtant, je sais qu’il tuera bientôt toute sa famille. Nicole Garcia a osée laisser au spectateur la possibilité d’éprouver un peu de compassion pour cet homme. Car Jean-Marc est un homme discret, effacé, même, ne levant pratiquement jamais la voix, s’écrasant en fait et se trouvant vite dépassé par des choses qu’il ne contrôle plus : son monde s’écroule petit à petit : bien que soit dit en sous-texte,


il entube ses beaux-parents, ses parents (qui à la fin, peu avant de se faire tuer, sont ruinés) et puis sa maîtresse Marie parce qu’elle le trouve triste, le quittera bientôt.


Nicole Garcia installe un rythme assez lent, mais tout en racontant énormément de choses.
Si j’évoque le montage depuis tout à l’heure, je vais maintenant de la mise en scène : Nicole Garcia offre de très beaux mouvements caméras « aériens » au niveau des personnages, les suivants à travers plusieurs jolis plans-séquences assez velus (puisqu’ils contiennent parfois plusieurs personnages qui traversent l’écran comme lors d’une fête entre amis), mais aussi des jump-cuts, ce qui peut paraître déstabilisant : ces coupes sur images, pour accélérer le rythme, ainsi qu’évidemment des plans fixes éloquents.
Évidemment Daniel Auteuil est de pratiquement toutes les scènes. Comment jouer un personnage réel à la vie vide finalement ? Et bien en étant naturel. Daniel Auteuil est contraint d’adopter un jeu minimaliste et par moments intense. C’est le génie de la direction d’acteurs de Nicole Garcia et du talent de Daniel Auteuil : comme cet homme montre une apparence de type ordinaire, sans histoires (ce qui est souligné par les témoignages de son meilleur ami à la police) et bien Daniel Auteuil ne le joue pas vraiment. Il n’a pas grand-chose à jouer. Il n’a pas à se mettre « dans la peau de ».
Mais il réussi avec un jeu minimaliste d’être extrêmement intense, d’exprimer énormément.
A aucun moment il ne surjoue. Le visage marqué de Daniel Auteuil, cinquante ans alors, sa relative petite taille (1 mètre 70), son regard profond, sa dentition très particulière : il n’a en apparence rien d’extraordinaire. Il y a seulement deux moments où il lève la voix durant les deux heures que durent « L’adversaire », c’est tout, le plus souvent, il parle d’une petite voix, murmurant presque.
Je n’ai pas vu beaucoup de films avec Daniel Auteuil mais moi, qui ne suit pas forcément fan de nos acteurs français, il livre une performance d’acteur vraiment extraordinaire. Si on aime cet acteur, on ne peut que l’aimer dans « L’adversaire » malgré son personnage finalement détestable.
Et à la fin, toujours des pièces qui manquent, des interrogations, des questions, l’éternel :
Pourquoi ? Il y a tellement de bonnes scènes dans cette œuvre, interprétées avec justesse, même si je trouve qu’à la fin (où tu as peut être vingt minutes où tout est chronologique)


, lorsque son épouse le confronte à ce qu’elle a découvert sur lui est de trop, j’aurais aimé justement qu’il n’y a pas cette scène, car nous avons déjà comprise qu’elle a découverte des choses sur lui.


Comme il y a des manques (car dans la réalité, on ne saurait jamais totalement ce qui s’est passé dans cette faire), pourquoi ne pas enlever aussi cette scène ?
A sa sortie et lors de ses diffusions télé (et même sur le DVD), « L’adversaire » est interdit aux moins de 12 ans. Alors que pourtant la violence est vraiment psychologique, suggérée : la scène la plus violente serait celle où Jean-Marc tabasse à coups de batte de base-ball sa femme, on voit le visage de Jean-Marc et ses coups portés et en alternance, le corps de sa femme se recroqueviller : mais il n’y a pas la moindre trace de sang (quoi que peu après il nettoie la batte), après il tue à coup de fusil (en silencieux), ses enfants puis ses parents.
Il est vrai que le meurtre d’enfants est pénible à montrer, mais là ce n’est que suggérer.


Après c’est sa maîtresse qu’il tente d’assassiner avant de finir par renoncer. Au début, Jean-Marc s’excuse par téléphone du comportement qu’il a eu envers sa maîtresse, plus tard, elle semble l’avoir rappeler et il dira qu’il ira consulter, on ne comprend qu’à la fin ce qu’était son comportement : il a tenté de la tuer. Les trois séquences sont montées encore une fois dans le désordre. Mais sa maîtresse, malgré son rejet des hommes, semble l’aimer, puisqu’elle semble lui pardonner : quand même un coup de taser, une tentative d’étranglement… Mais lui affirme perdre parfois la mémoire, ne pas se souvenir de ce qu’il fait.
On dira plus tard qu’il n’a pas pu la tuer car elle le regardait (ce qui n’est pas le cas de sa femme, de ses enfants et de son père, il tuera sa mère en face de lui mais en baissant les yeux).

Derrick528
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le 6 août 2021

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Derrick528

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