Legrand malentendu
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Comme dans toute règle de grammaire (en français), il y a des exceptions, pour moi, ce film fait partie des exceptions. En effet, en matière de cinéma ou de littérature, j'ai tendance à m'attacher d'abord au fond ; l'appréciation de la forme vient après. Mais, ce film qui est d'abord, à mon sens, un exercice de pure forme qui s'applique à une histoire somme toute assez banale (un casse et l'enquête qui s'en suit) est une espèce de prodige où l'équipe cinématographique a utilisé toutes sortes de techniques pour arriver à une œuvre "sur papier glacé". Une œuvre belle. Une œuvre efficace.
Je me souviens d'un cours de musique au collège où la prof demandait à la cantonade ce qui différenciait la musique classique de la musique romantique. Un élève avait suggéré "la musique classique, c'est beau, c'est la musique du beau" provoquant une explosion de rires de la classe devant la bonne farce. Contre toute attente, la prof avait accepté la réponse et avait embrayé sur l'idée …
Eh bien ici, on a affaire au même genre de problématique : tout est superbement réussi, les couleurs, l'image, le jeu des acteurs, le montage, le "split screen" pour les effets de simultanéité, la musique. Pas de place au romantisme, aux sentiments.
Quand on regarde les couleurs par exemple des vêtements des deux protagonistes très différentes au départ puis qui tendent vers la même couleur, on ne peut plus parler de hasard. Jusqu'aux épluchures de légumes multicolores jetées dans une feuille de papier journal où il y a une offre alléchante de délation …On sent dans ce film un effort certain d'esthétique. Pour pousser l'esthétique et lui donner du sens. Et je suis bien certain de ne pas avoir encore tout vu …
Mais l'action et le scénario ne sont pas oubliés pour autant. Le casse est original, les personnages que ce soit Thomas Crown (Steve McQueen) ou Vicky Anders (Faye Dunaway) sont originaux même s'ils tendent vers des archétypes stylisés ; j'aimerais même dire "idéalisés" mais ce serait presque de la provocation …
Le personnage de Thomas Crown est le parfait homme d'affaires, malin, beau, riche et qui a tout. Mais il en veut toujours plus, pas par vulgaire appât du gain. Non, par jeu, par goût du challenge. Mais attention, un jeu qui confine à la jouissance individuelle, personnelle, égoïste. Témoin, le rire homérique qui le prend à plusieurs reprises, un verre de whisky à la main, celui qu'on prend pour se délasser après une belle performance, après un bon coup. À l'image des dieux de l'Olympe qui rient après le bon tour joué à Héphaïstos. Parce qu'il n'est pas loin de tutoyer les dieux, ce salopard de Steve McQueen à être capable de niquer tout le monde avec le sourire et de s'enrichir de façon indécente.
Le personnage de Faye Dunaway, Vicky, est la femme fatale, le piège qu'on tend à un homme normalement constitué, l'atout maître, la mante religieuse qui dévore ses amants qui se laissent séduire. Intelligente, vénéneuse, sexy en diable, calculatrice ; il n'y a que le fric qui l'intéresse. Sans oublier la jouissance d'avoir niqué sa victime. Comme on la voit faire avec Edwin (un des protagonistes du casse dont on pourrait parler pendant des heures ...) qui n'y voit que du feu et même qui rigole ...
Vicky ou la beauté froide, glaçante qu'un homme normal risque de ne pas voir tant elle est capable de charmer et de séduire. Comme j'ai traité Mc Queen de salopard, je dirai d'elle qu'elle incarne la salope intégrale. Témoin la partie d'échecs qu'elle gagnera. Ou, plutôt, que McQueen lui laisse gagner ?? Parce que pour McQueen, l'instant de l'humiliation n'est (peut-être) pas encore venu. Le baiser torride, le plus long du cinéma parait-il ( ce dont je doute un peu….). C'est l'hallali … Mais là encore, qui perd, qui gagne ?
Cette "affaire Thomas Crown" est un film brillant, esthétique dont je conviens d'emblée, qu'il faut accepter d'entrer dans ce jeu très amoral mais si excitant entre ces deux acteurs dont chacun use de ses propres armes masculines ou féminines. Un combat à armes égales comme celui des gladiateurs : l'homme a un bouclier et un glaive face à la femme qui dispose du filet et d'un dard …
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le 24 déc. 2022
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