Ce film est sans doute le plus abject que j'ai vu depuis très longtemps. Je l'ai juste vu parce que Bégaudeau disait dans son podcast que c'était le film qui l'a fait le plus réfléchir en 2020 (pas le meilleur, juste celui qui l'a fait le plus réfléchir) et vu que j'avais envie d'écouter ce qu'il avait à dire sur le film j'ai voulu le voir avant. Je pense savoir ce qui l'a fait réfléchir : les images...
C'est incroyable, je ne pense pas avoir déjà vu ça. C'est un documentaire où on reconstitue toute une affaire policière avec que des images d'archives filmées par les victimes elles-mêmes, par la police ou par les enquêteurs. Je pense que juste quelques rares plans de coupe au drone ont été faits pour le film. Et en voyant ça je comprends pourquoi je ne regarde pas ce genre de trucs d'habitude, j'avais le préjugé que c'est juste du voyeurisme et ce film ne m'a que trop donné raison.
On a accès à leurs conversation privées par SMS... on a tout... on voit même la femme rentrer chez elle avant de se faire buter.
C'est parfaitement ignoble. On a dépassé toutes les limites du voyeurisme avec ce film. Mais ça dit quelque chose d'intéressant sur notre époque pour qu'on arrive à faire un film sur une femme ordinaire et ses enfants avec que des images d'archives. On est filmé partout, tout le temps et on filme partout, tout le temps... Le genre du found foutage devient tout à coup limite obsolète, vu qu'on peut le faire en vrai... on peut te faire un vrai film policier en found foutage.
Parce que là on n'a pas un documentaire avec un mec qui raconte tout en voix off pour lier les maigres images qu'ils ont. Ici c'est monté comme un film policier, on nous présente les personnages, on nous met sur des fausses pistes, on voyage entre les temporalités afin d'apporter des éclaircissements sur les raisons du meurtre, etc. Le pire dans tout ça c'est que ça marche... C'est pas un film chiant, c'est « divertissant » juste ce qu'il faut pour regarder ça en mangeant sa pizza...
Alors que si on interroge un peu ce que veulent dire ces images, c'est d'un glauque absolu.
On voit ces gamines qui ont été tuées jouer avec leur tueur, rire, sans aucun recul sur ces images... Surtout que vu que la mère a l'air de les filmer tout le temps elles sont habituées, elles sont juste naturelles. Elles ne jouent pas des gamines victimes, elles sont. Ce dispositif est malsain au possible et rappelle en fait The Other Side of the Wind d'Orson Welles, aussi sorti sur Netflix, où avec différents bouts de vidéos pris par des personnages différents, on pouvait, en mettant tout à bout, arriver à un vrai film. Ben là c'est pareil, sauf que c'est pas une fiction. On est arrivé à ce moment là dans l'histoire de l'humanité, au point The Other Side of the Wind !
Et pour parler franchement en regardant ce film j'ai pensé à Werner Herzog, qui a aussi fait des documentaires sur des tragédies, notamment à Grizzly Man où il monte des images d'un type passionné par les ours qui vit avec eux en Alaska avant de finir dévoré par l'un d'eux. Sauf que Herzog ne montre pas la séquence où il se fait tuer (bon en vrai ça n'a pas filmé, il a juste le son), on voit sa réaction à cet enregistrement et il trouve ça trop terrible pour être diffusé et dit que ça devrait être détruit.
Il a une barrière à ce voyeurisme, il réfléchit aux images qui sont montrées, là il n'y a aucune réflexion, aucun commentaire, tout est balancé... On te décrit leur mort horrible en montrant bien l'endroit où ça a été fait...
C'est juste un film qui cherche à contenter le voyeur qui est en chaque spectateur et son goût pour le macabre... c'est tout. Et les gens regardent ça en mangeant leur pizza... après tout pourquoi pas ? ça a la même forme qu'une fiction... pourquoi se priver ?
C'est peut-être ça le pire, on ne se rend pas forcément compte qu'on est allé trop loin dans le racolage et le voyeurisme.