Au début du XXIième siècle, les studios Disney peinent à prendre le train de l’animation numérique, laissant la voie à d’autres locomotives concurrentes. Beaucoup de studios veulent leur part de (feu) le cellulo et certains l’obtiendront.
Blue Sky Studios n’est pas un nouveau venu, mais il fera partie de ceux qui arriveront à tirer leur pixel du chapeau. Le studio a été en charge des effets spéciaux de plusieurs films depuis 1987 dont Aliens : la résurrection, Fight Club ou Bienvenue chez Joe. Suite à l’échec de Titan AE, la compagnie devient la dernière carte maîtresse du groupe Fox pour chasser sur les terres de l’animation. Elle le fera avec une telle réussite que son premier film deviendra un succès planétaire, déclinée en plusieurs films et en produits dérivés. Heureusement, Disney lavera l’affront en rachetant des actifs de 21st Century Fox en 2017, dont le studio.
(Pour mieux le fermer en 2021, Covid oblige… Ou malsaine vengeance ?)
En 2002, L’Âge de glace est donc loin de jeter un froid, bien au contraire. Située en des temps bien lointains, au début d’une ère glaciaire qui entraîne une migration de la faune et des hommes vers des contrées plus accueillantes. Et la rencontre plutôt improbable entre un mammouth grognon, Manny, d’un paresseux fantasque, Sid et d’un tigre à dent de sabre qui joue double jeu, Diego.
Le prétexte pour les réunir tient en un petit bout de chair, un bébé humain qui a survécu à sa mère, et que l’équipage poilu va conduire vers sa tribu d’hommes. Cette adoption un peu forcée, mais évidemment pleine de tendresse, n’est pas sans un certain charme, avec ces trois garçons bien loin des pouponnières. Mais on pourrait s’étonner de leur grande tolérance vis à vis des bipèdes, qui ont, pour deux d’entre eux, tué leur famille. C’est comme ça, ils ont du cœur, et comme ça se partage, ils vont éviter d’être à leur tour transformés en carpettes.
Tout est assez aseptisé, la violence de cette ère est à peine perceptible, entre le froid qu’on imagine meurtrier et les hommes qui chassent pour se vêtir et se nourrir. C’est bon enfant, quitte à être un peu naïf. La suite des pages du script est facilement devinable, l’attitude de Diego évoluera, tandis que la réunion de cet équipage hétéroclite sera bien vite soudée, il ne faut pas perdre trop de temps.
Ce que veut mettre en avant le film, c’est justement son trio, bien mal assorti. Entre le solitaire et ronchon Manny et Sid le pot de colle, il y a des étincelles, tandis que Diego est encore un peu mal défini, limité dans son rôle de carnassier fourbe, mais partie intégrante des situations comiques dans lesquelles tombent nos héros.
L’humour autour de ce groupe est parfois visuel, dans la farce, de temps en temps plus fin, comme cette allusion darwinienne bien vue, mais sa principale force réside dans ses dialogues, il faut écouter et apprécier les répliques échangées dans ce trio hétéroclite, parfois cinglantes, souvent moqueuses, qui deviendront ces bons vieux chambrages de potes. Si le doublage américain n’est pas composé de grandes figures, avoir fait appel chez nous à Gérard Lanvin, Vincent Cassel et surtout Elie Semoun, fabuleux avec Sid, est assurément un plus.
Mais ce qui fait aussi le charme de l’Age de glace réside dans sa mascotte, l’infatigable Scrat, écureuil des temps anciens, obsédé par sa quête d’un gland qui lui échappe toujours. Sonorisé par les grognements de Chris Wedge (fondateur du studio Blue Sky et réalisateur), la petite créature ne peut compter que sur ses gestuelles et ses mimiques, dans une exagération et un affolement burlesque assez plaisant. L’écureuil est à part du récit, peu intégré aux aventures du trio, suivant un chemin qui lui appartient, mais qui permet aussi de varier les scènes et l’humour du film.
Il fallait d’ailleurs une certaine assurance pour animer cette petite boule de poils bien remuante, mais aussi d’autres personnages, tels ces bondissants et synchronisés dodos, une certaine maîtrise des outils technologiques. Le film n’est plus tout jeune (20 ans tout de même!), et pourtant il a bien vieilli, même mieux que le premier Shrek, son contemporain et concurrent de chez Dreamworks. Quelques textures sont un peu fades, oui. Mais la création de Blue Sky est maligne, n’hésitant pas à épurer ses décors, avec parfois de belles réussites esthétiques comme cette grotte de glaces dans le récit. Elle a compris que l’attachement des personnages se ferait par leurs expressions et leurs comportements, alors elle souligne leurs comportements avec une belle réussite. Et si le studio ne peut pas faire le détails de chaque poil, elle opte pour un autre rendu, par grappes, assez réussies.
C’est moins réussi pour les humains, aux animations rigides, aux visages trop statiques, ils apparaissent tout de suite en retrait, moins crédibles. Pixar ne faisait pas vraiment mieux dans ces années, il était encore difficile à l’époque d’offrir à nos représentations numériques ce supplément d’âme. Ce premier volet est d’ailleurs le seul film de la série où l’homme est présent, par la suite les bestioles resteront entre elles. Il y a tout de même un petit clin d'oeil dans le court-métrage Il était une noix.
L’Âge de glace est certainement plus précurseur dans son expertise technique que dans son scénario, convenu mais plaisant. Le film fut un grand succès pour ces raisons, et bien sur son humour, pas aussi moqueur que chez Shrek, mais qui réussit à faire vivre ce sympathique trio à fourrure. La licence s'est depuis déclinée en un paquet de films, à la qualité assez égale, et de quelques dérives.