Après une entame magnifique, dans les salons luxueux du président Grant, où Johnny MacKay (Alan Ladd), « chasseur d’indiens », reçoit la mission de faire la paix dans l’Oregon, où sévit un « renégat » indien joué par Charles Bronson, on peut penser un instant à une œuvre mineure de Delmer Daves. On est loin en effet du western pro-indien « La flèche brisée » du même réalisateur (1950), ou encore de « La porte du diable » d’Anthony Mann. Les indiens Modocs refusant la « paix » imposée par l’armée américaine (la réserve pour les indiens, les terres pour les colons) sont en effet présentés comme des renégats violents, des assassins, comme dans tant de westerns américains, tandis que ceux qui collaborent semblent de doux agneaux habités par un sentiment de paix (avec la traditionnelle jolie indienne, jouée par l’actrice italienne Marisa Pavan) … Mais les beaux plans du début, dans l’antichambre puis dans le salon de la Maison Blanche, avec ses couleurs éclatantes et ses tons carmin, promettaient déjà une belle maîtrise de l’espace et des arrière-plans.
Rapidement la maîtrise de Delmer Daves, ses cadrages magnifiques, son usage du cinémascope et du technicolor, font merveille. Il y a une poésie incroyable dans les chevauchées indiennes sur fonds ocres et verts, dans les mouvements de grue qui nous dévoilent l’habitat indien (les décors sont dans tout le film impressionnants), et dans les paysages moins chromatiques mais plus sereins, malgré les tueries, que chez Anthony Mann. Si les passionnés des westerns avec embuscades, raids contre les pionniers et batailles rangées entre cavalerie et indiens, seront servis, le propos, malgré le scénario, n’est pas si anti-indien qu’il n’y paraît, car le paysage lui-même est indien, et rarement Delmer Daves, un des plus grands réalisateurs de westerns des années 50 avec Mann et Boetticher, n’a aussi bien filmé les paysages naturels de l’Ouest américain. Notons que la prédominance des deux couleurs verte et ocre pourraient marquer la rencontre impossible entre deux mondes, le vert représentant la promesse d’une terre nouvelle, fertile, riche d’avenir, pour les pionniers (la diligence elle-même est verte), tandis que l’ocre, couleur du désert et des roches où se cachent les indiens, d’où ils surplombent leur territoire et mesurent l’implantation de leurs adversaires, ouvrirait sur un espace dangereux et inconnu.
Même si on peut être agacé par le personnage joué par Audrey Dalton et ennuyé par le jeu un peu fade d’Alan Ladd, la multiplicité des personnages enrichit le scénario et permet d’éviter qu’on s’arrête trop longuement sur des personnages trop stéréotypés. Delmer Daves sait aussi mettre parfois son personnage principal à l’arrière-plan, et la disposition d’ensemble attire souvent davantage l’attention du spectateur qu’une réflexion sur la motivation, les intentions et la légitimité des uns et des autres.
On regrettera cependant une dernière demi-heure moins prenante, l’espace laissant la place au récit, celui, classique, de la chasse aux indiens renégats. Et dans ce domaine, Robert Aldrich fera beaucoup mieux, dans son magnifique « Fureur Apache », en 1972 (Aldrich avait lui aussi fait jouer un rôle d’indien à Charles Bronson la même année que « L’aigle solitaire », en 1954, dans « Bronco Apache »).