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« Aimai-je un rêve ? Mon doute, amas de nuit ancienne »

Le venin de la peur, Lucio Fulci

Le film commence de manière magistrale avec, au milieu d’un écran noir, pendant le générique, une tache rouge, volute informe qui se gonfle et se dégonfle sur la musique angoissante d’Ennio Morricone, qui laisse place au bruit d’un train. Après un premier gros plan sur des visages froids et peu réjouissants, la caméra zoome sur les mouvements frénétiques d’une main de femme (Florinda Balkan) cherchant désespérément à ouvrir des portes de compartiments. Le couloir d’abord vide se remplit soudain de voyageurs, puis devient un couloir en béton où la femme continue de se frayer un chemin au milieu cette fois de corps nus, enlacés, psychédélique orgie où des sons angoissants se mélangent à des cris d’étranges et inquiétantes jouissances. Un rapide plan où la femme semble chuter dans un puits noir permet une transition rapide vers une scène érotique, avec un grand lit carré rouge et une scène saphique, puis retour à la réalité, avec Florida Balkan endormie qui s’agite aux prises avec ses pulsions érotiques. Au-dessus du lit apparaît un tableau de Dali, « Bacchanale », avec un cygne au ventre ouvert surmonté du fronton d’un temple grec… Le lit rouge deviendra la scène d’un meurtre, point de départ d’une enquête où rêve et réalité ne cesseront de se superposer que dans un final un peu décevant.

Fulci montre avec ce film qu’il est bien un des maîtres du giallo, dont il creusera de nouveaux sentiers jusqu’aux années 80, même si la radicalité des premières scènes, le trouble érotique, le lien entre la pulsion et le démonique ne sont finalement que partiellement aboutis dans ce film à la puissance plastique parfois impressionnante, où la transformation d’éléments de la pop culture et leur intégration dans la gore culture ouvre de nouvelles perspectives dans l’histoire du cinéma fantastique.

Dans « Una lucertola con la pelle di donna », que l’esprit mal tourné des distributeurs transforme, après un premier « Carole », en « Les salopes vont en enfer » (Le venin de la peur est le titre de la VHS), Lucio Fulci montre que les fantasmes et les transgressions du monde hippie de la fin des années 60 sont inséparables des fascinations morbides et fétichistes de la haute bourgeoisie, et que la psychanalyse freudienne, avec sa puissance de répression sexuelle, n’est pas étrangère aux contaminations qui menacent l’équilibre psychique mais aussi socio-politique du monde occidental, si on en croit les allusions, à la fin, à une jeunesse décadente et violente en prise au LSD. Il faut cependant oublier ce volet psycho-social, moins intéressant, et insister davantage sur la décomposition de cet univers bourgeois et freudien, qui laisse place à des pulsions incontrôlables, indécomposables, comme le blob rouge du générique, qui n’en est que l’image. On est plus proche à mon avis de l’univers de Carpenter que de celui des fascinations morbides de Cronenberg, lorsque Florida Balkan entre dans la pièce des chiens éventrés dont les organes sanguinolents pulsent encore, manifestation horrifique du vivant plutôt que pulsion de mort. Car demeure ici, au sein des pulsions, dans le flottement et dans la peur (peur superstitieuse des images et des symboles oniriques), une ouverture au mystère. Mystères incarnés un moment par les deux hippies témoins du meurtre qui, avant que ne soit expliqué leur caractère halluciné par les effets du LSD, apparaissent dans les fragments de rêves de Florida Balkan comme deux faunes amusés, aux pupilles blanches, qui incarnent la puissance gémellaire de l’image.

finisterrae
8
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le 26 déc. 2022

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