Le Venin de la peur par Teklow13
Fulci est le cinéaste de la transformation de la chair et du pourrissement des corps. Il traite ce sujet dans quasiment tous ses films en le déclinant sur le fond comme sur la forme. On retrouve cette thématique, éminemment cinématographique sur le plan esthétique et théorique, autant imprégnée dans ses films de zombie (aboutissement du sujet sur le plan formel), d'horreur gore, de western spaghetti ou de gialli.
Mais il ne fait pas du gore pour le gore. Il y a chez lui une fascination à filmer les corps en putréfaction, en décomposition, en mutation. Il en résulte chaque fois quelque chose de très particulier, à la fois répugnant et poétique.
Ici il travaille cette matière dans le cadre d'un giallo dont le titre original : Un lézard dans une peau de femme, reflète totalement cette démarche thématique. L'idée du changement de peau, de la mutation, de la régénération, tout ça émerge à la lecture du titre et du film.
Le film opère cette mutation à plusieurs niveaux. Un niveau contestataire d'abord, Fulci oppose deux strates de la société, les bourgeois et les hippies, au lendemain de 68. Les mutations de l'un vers l'autre, ou interpénétration, mais également le pourrissement de ces deux mondes, le cinéaste n'est tendre avec aucun des deux. Puis également sous une forme psychologique, psychique, à l'échelle du corps d'une femme. Ces deux niveaux étant relayés par une mise en scène sans cesse en train de se renouveler, de se détruire et de se reconstruire.
La femme en question c'est Carole, une bourgeoise qui vit dans un appartement luxueux dans le cœur de Londres, auprès de son mari et de son père politicien.
Carole fait des rêves étranges dans lesquels intervient Julia, sa voisine aux mœurs libres. Rêves mêlant violence, saphisme, érotisme. En résulte pour elle un mélange de fascination et de répulsion, avec une barrière entre le vice et la vertu sans cesse bousculée.
Jusqu'au jour ou le rêve, elle se voit en train de poignarder sa voisine, devient réalité, le lendemain Julia est retrouvée morte.
Durant les 20 premières minutes, Fulci propose un maelstrom d'images, de sons, de sensations, assez hallucinant et d'une liberté folle. Un espèce de tour de force esthétique, baroque, onirique, bercé par le rythme mélancolique de la sublime musique de Morricone. Dans lequel la chair est à la fois belle et triviale, il n'hésite pas montrer le résultat de sa dégradation. Si habituellement (excepté chez Argento plus tard) le giallo s'attarde surtout sur le geste du meurtre et tout ce qui le précède, Fulci laisse une grande place à la conséquence corporelle de celui-ci. Aux tissus transpercés et aux plaies.
Ces premières minutes sont là pour restituer une sensation, mettre le spectateur dans une certaine position face à ce qui va suivre, et à vivre et à ressentir les choses à travers la peau de l'héroïne.
Par la suite, et si des visions cauchemardesques referont surface ponctuellement (visions terrifiantes de chiens dépecés,...) le faisant sans cesse flirter avec le fantastique, la narration reprend une construction d'enquête plus classique, avec rebondissements et tout ce qui attrait à ce genre de film.
Dans cette histoire de changement de peau, tout n'est pas totalement réussi, Fulci n'est par ailleurs pas le cinéaste le plus fin d'un point de vue psychologique et il y a beaucoup de maladresses vis-à-vis de cet aspect. Mais tout l'intérêt et la force de ce cinéma là réside dans sa façon dépensière de faire du cinéma, de tenter des choses, d'expérimenter. Fulci le fait avec un vrai talent, un vrai discours qui ne se réduit pour autant pas uniquement à celui de la mise en scène pure. Le résultat est plutôt passionnant et jouissif.