Le voilà enfin, le film de Carné que j’aime ! Après cinq tentatives plus médiocres les unes que les autres, c’était à désespérer. Et c’est celui que j’attendais le moins, celui dont on n’entend jamais parler, qui me parle, justement. Avec L’air de Paris, Carné s’est entièrement débarrassé de Prévert et ça se sent : les dialogues sont moins affutés, plus nuancés, moins vieillots : On colle davantage au Paris populaire qu’il raconte. Gabin campe Victor, vieux boxeur raté, gérant d’une salle d’entrainement dans laquelle il espère voir éclore, un jour, un vrai champion. Sa femme, Blanche (incarnée par Arletty) est plus sceptique et moqueuse quant à la réussite du projet de son homme, mais elle l’accompagne au quotidien, s’occupe de l’accueil et de la comptabilité. Lorsque l’un de ses prometteurs poulains est terrassé par un accident, il fait la connaissance d’André, ami du garçon défunt et cheminot solitaire et désabusé, révélant un vieil amour pour la boxe. Si l’un n’a jamais eu de fils et l’autre ne semble jamais avoir eu de père, il y a dans le déploiement de récit qu’en fait Carné quelque chose de beaucoup plus subtil qu’une traditionnelle histoire de père et fils spirituel. Car d’un côté il y a Victor et ses rêves, ses illusions. De l’autre il y a André, pragmatique, cloitré dans la désillusion, la crainte de ne parvenir à rien, incapable de croire qu’il puisse être aidé (par ce boxeur déchu qui en voit en ce gamin son propre miroir et son rêve d’adolescence) et aimé – puisqu’il fera bientôt la rencontre de Corinne, une femme du monde, qui le dispersera dans ses désirs. C’est parfois pas loin d’être bouleversant cette affaire, d’autant que Carné ne brosse pas uniquement cette relation (façon Million dollar baby) mais s’intéresse aussi beaucoup aux deux histoires de couple pour en dresser un double portrait aussi tendre que mélancolique, autant qu’il crée quatre individualités (l’ouvrier, le manager, la femme du manager, la bourgeoise) aussi rêveuses, passionnées qu’elles sont tristes et paumées. Il aurait fallu à Carné la confiance en cet univers qu’avait eu Robert Wise, avec le sublime Nous avons gagné ce soir, cinq ans avant lui, car si l’on coupe toutes les scènes ratées se faisant descriptives du grand monde, L’air de Paris est un vrai beau film.