L’adaptation cinématographique de L’Amant par Jean-Jacques Annaud en 1992 m’a déçue en ce qu’il délaisse tout projet de transposition cinématographique du style littéraire de Marguerite Duras, au profit d’une simplification, d’une narrativisation et d’une restructuration linéaire du récit.
Au travail poétique de réminiscence rendu possible par le passage à l’écrit, toujours en quête d’inconnu, de souvenirs pas encore émergés des zones enfouies de l’inconscient, il oppose une grille de schéma narratif préétablie qui concentre le récit autour de la seule relation entre les amants.
A l’instabilité de la voix narrative alternant de manière indécidable entre la première personne typique de l’autobiographie et la troisième personne du roman balzacien, il oppose une claire séparation des instances auteure, narratrice, personnage, mis à part la séquence d’exposition.
Au temps subjectif, à la durée intérieure du souvenir, il oppose un temps objectif, historique, inscrit dans une époque, les années 1930 de l’Indochine française où le déploiement considérable des décors conduit à référer beaucoup plus que ne le fait le roman.
Le livre L’Amant préfère, de manière impressionniste, reconstituer, de manière quasi proustienne, l’atmosphère des souvenirs empreints de toute leur charge intellectuelle et émotionnelle. Toutefois, on retrouve dans le film la moiteur de la Cochinchine française de certaines séquences descriptives du texte, grâce au travail sur les éléments du profilmique. Les personnages sont archétypaux dans le film parce qu’ils ne sont que des instances dans le roman (“le petit frère”, instance de la fragilité et de la soumission, le “grand frère”, figure d’autorité, la “mère” figure d’emprise, d’irresponsabilité et de folie). Quand bien même le film de 1992 permet dans une certaine mesure de retrouver l’atmosphère du roman, l’on aurait sans doute attendu de Jean-Jacques Annaud un travail de réflexion plus poussé sur ses choix esthétiques, à la hauteur de son projet.