Le premier élément, c’est le titre qui annonce le programme du film : un peu comme dans Le Faux coupable de Hitchcock, la solution est donnée d’avance. L’histoire importe moins que ce qu’on y dit du récit fictionnel en général, quelque soit sa forme. Le statut de fiction est pleinement assumé, inutile de voir le film, pourrions-nous penser. Le spectateur connaît déjà la fin par le titre. C’est moins l’histoire qui importe que le discours qui est déployé au sujet de l’histoire, sur lequel je reviendrai.
Le deuxième élément c’est la mise en abyme pour employer les grands mots, autrement dit, “le récit à l’intérieur d’un récit” : on a ce récit-cadre qui est cette conversation entre deux hommes au sujet d’un écrivain condamné. Cela amène au coeur de l’intrigue, l’acte II en quelque sorte que constitue ce récit enchâssé. Par le brouillage des degrés diégétiques, le spectateur est déjà appelé à s’interroger sur le niveau narratif. Qui raconte ? Dans le récit enchâssé qui occupe 80% du temps du film, un écrivain (Richard) va lui-même être manipulé par ses propres personnages. Ellen prend le contrôle sur l’histoire, elle veut mener l’action et les séquences où elle est mécontente traduisent justement cette déception de ne pas avoir le final cut. C’est ainsi que nous pouvons lire la scène où elle laisse Danny se noyer. Le récit que lui a tracé l’écrivain-démiurge ne lui convient pas. Elle veut prendre le contrôle du récit en s’affranchissant de son statut de personnage, par la vengeance et être maîtresse de sa destinée diégétique. Le film est donc travaillé par cette tension au sujet de la continuation de l’intrigue : qui aura le final cut ? Cette redéfinition du statut du récit pose une question autoriale : le cinéaste ou l’écrivain laissent-ils évoluer passivement les personnages dont ils ont défini le tempérament au début de l’acte d’écriture ? Sont-ils au contraire la figure démiurgique qui les créent et déterminent leur évolution et leur action ? La question est posée au spectateur en sollicitant sa distanciation critique.
La critique cinématographique a pu opposer deux grands types d’attitudes spectatorielles face à une forme filmique : une logique d’absorption qui repose sur l’idée que le spectateur se laisse absorber de manière passive dans le film en faisant l’expérience de la temporalité diégétique, pleinement (la logique Netflix ou Marvel). Un peu comme s’il oubliait qu’il était dans une salle de cinéma, son attention étant figée sur le mode de la stupeur. La seconde consiste en une approche distanciée du film, une position critique qui a pour fin d’identifier certains traits d’analyse, formels et esthétiques qui pourraient permettre de déceler une vérité du film. Il semble que ce film mêle les deux approches : le travail sur la colorimétrie très vive et foudroyante (en Technicolor), le motif thématique du récit qui se traduit par la présence du livre matériel (tenu par Ellen dans le train, écrit et continué par Richard tout au long du film : la fiction fait la fiction) et enfin, le reflet circulaire de l’objectif dans le premier plan en travelling arrière de la séquence du procès rappellent sans cesse que le film est un artefact. Ce rappel de la dimension technique du cinéma appelle ce mouvement de distanciation, de réflexivité et permet au spectateur de ne pas se laisser absorber pleinement dans le film (quoique les scènes dramatiques fortes comme celle de la noyade semblent plutôt appeler l’absorption spectatorielle). L’idée, c’est que le spectateur doit se demander : “Qui raconte ? Et même, qui dirige le récit ?”. Et si les actes d’Ellen pouvaient modifier la trame narrative prévue par Richard ou par Stahl, métaphoriquement ?
La trame narrative semble se corriger au fil du film par les personnages qui y évoluent, l’auteur et ses personnages se disputent donc le final cut. Qui aura raison de l’autre ? La réponse dans la séquence finale.