Un an après Laura qui consacra son pouvoir de fascination, Gene Tierney incarnait ce personnage de femme possessive, égoïste, maladivement jalouse et monstrueuse, rôle très fort qui m'a beaucoup marqué. Avec Laura et l'Aventure de madame Muir, c'est l'un des 3 films qui m'ont liés à la beauté troublante de Gene Tierney, grande actrice des années 40 dont je suis tombé amoureux alors que j'étais un adolescent qui écumait le Cinéma de Minuit de FR3 dans les années 70 et où beaucoup de ses films étaient diffusés lors de cycles. Je me mis alors en quête de voir tous ses films, mais ce n'était pas facile car à cette époque, l'accès aux films n'était pas aussi simple qu'aujourd'hui, les jeunes générations ne se rendent pas compte des facilités qu'ils ont de nos jours.
Spécialiste du mélo sentimental dans les années 30, John Stahl qui signe un de ses derniers films, livre ici un véritable cas clinique, puisque la femme maléfique incarnée par Gene est l'étude singulière d'un cas de névrose. C'est une épouse dont la jalousie est tellement exacerbée qu'elle est capable de commettre un meurtre indirect pour s'assurer l'amour exclusif de son mari, et de chuter dans un escalier pour avorter, elle ne sème que le malheur dans tout son entourage, cette jalousie est si destructrice qu'elle menace constamment la morale familiale et sociale. La manière dont elle se débarrasse de son gêneur ouvre un processus de haine et de frénésie qui rend le personnage tragique, un peu comme si on la plaignait d'être emportée par son obsession.
En 1945, le public n'a pas perçu cet aspect, mais tout ceci était quand même d'une grande hardiesse à Hollywood vis-à-vis de la censure encore active. Certaines de ces scènes sont d'une violence terrible, à peine adoucie par la couleur acidulée de la photo de Léon Shamroy, qui donne une esthétique romanesque très à la mode dans les années 40. La symbiose mélo et film noir est parfaite, elle se traduit par le comportement de mante religieuse de cette femme, prête à tout pour exercer cette jalousie mortelle ; inutile de dire que malgré ce rôle très négatif, je fus subjugué et à la fois choqué par Gene Tierney qui m'a définitivement envoûté, elle parvient à incarner un personnage très névrosé sous une apparence lissée, elle est fabuleuse. Un film dur, mais à ne pas rater.