En voyant « L’amant double » je n’ai pu m’empêcher de penser à Claude Chabrol. Et ce n’est pas la première fois d’ailleurs sur un film d’Ozon. On pourrait même évoquer une certaine filiation. Bien évidemment, elle ne se situe pas au niveau spirituel, Chabrol est un hédoniste roublard, Ozon un anxieux chronique. S’il y a similitude cela se trouverait plutôt dans la mécanique de leur filmographie. Tous deux aiment tripatouiller les tréfonds de la classe moyenne « petit bourgeois » si représentative d’une France amorphe et qui, globalement parlant, a peu évolué ces cinquante dernières années, si ce n’est au niveau des repères. Le jeu de masques entre politiquement correct et aspirations intérieures réelles, s’est accentué et a perverti l’ensemble d’un système. Leurs filmographies marquent d’ailleurs cette évolution, Ozon a affiné sa réflexion sur ce milieu. Le cynisme s’impose au détriment de la farce entre « Sitcom » et « Dans la maison ». Quant à Chabrol si le déterminisme persiste il change de côté, là où il plaçait le spectateur du côté de la victime dans « Que la bête meure », ce même spectateur se retrouve cette fois-ci au coté des bourreaux dans « La cérémonie ». Autre forme cynique.


Mais la comparaison ne s’arrête pas là, il existe d’autres constances, notamment l’inconstance de la qualité des œuvres. En 1985, sort « Poulet au vinaigre », film extrêmement sympathique, mais un peu léger voire brouillon. Trois ans plus tard le même Chabrol signait « Une affaire de femmes », film admirable à tous endroits notamment sur le trainement d’un sujet des plus tabous où intelligence et maitrise étaient au rendez-vous. Ozon est coutumier du fait également, en 2003, il nous inflige un « Ricky » sorte de fable fantastique totalement ratée pour revenir l’année suivant avec « Le refuge », véritable référence sur le combat contre la mal être. En reprenant chacune des filmographies, les exemples sont nombreux.


Mais ce qui ressort particulièrement, c’est le côté inclassable de ces excellents (pour la partie réussie de leurs œuvres) réalisateurs. Certes, je l’évoquais il y a ce coté un peu catalyseur qui leur est commun, chacun souhaitant provoquer une réaction par rapport à son sujet, les solitudes urbaines rarement éloignées d’ailleurs. Mais ce qui impressionne, c’est ce côté protéiforme des styles qu’ils empreintent. Il n‘y a pas de « touch » particulière pour Chabrol ou Ozon, simplement la meilleure manière d’amener leur film au résultat escompté, qui fait qu’à un moment l’un et l’autre peuvent échouer dans le genre grand budget (« Le cheval d’orgueil » & « Angel »), et réussissent par ailleurs un tour de force en s’attaquant à des œuvres considérées à l’adaptation improbable, selon l’image que l’on se fait d’eux, et en extraire la quintessence « Violette Nozières » & « Gouttes d’eaux sur pierre brûlante ».


C’est ce préjugé qui fait que j’allais voir (presque) tous les Chabrols et que je vais voir (presque) tous les Ozon. Parfois facilitateurs de meilleur par leur originalité ou peu concernés, confus, tous deux conservent cette volonté de traiter des sujets pour le moins essentiels, souvent originaux et donc générateurs d’envie et de plaisir, autant que de frustration.

Ce long préliminaire, pour « L’amant double », le dernier Ozon, vous l’aurez compris, n’annonce rien qui vaille.


Si le scénario se tient, que le choix des interprètes est plutôt correct (Vacht à l’inverse de Samson semble voir son talent décuplé en coupant ses cheveux), que Manu Dacosse avec ses lumières acier nous angoisse (tous comme il faut, il en faut au moins un qui y pense), François Ozon semble hésiter à prendre une direction formelle, laissant son film flotter entre le drame psychologique et une certaine fantasmagorie fantastique. Dès les premières minutes il sait tenir un suspens qui intrigue et casse un peu les codes, mais la redondance des cheminements (même si l’ont sait où ils se situent) finit immanquablement par lasser. Au point même qu’à un moment « la grossesse » devient tellement difficile qu’on imagine Ozon faire venir la sage femme radicale de « A l’intérieur » (Ah Beatrice !!!! Je t’en veux encore !!!) pour amener un peu de sel, à défaut de sang à ce récit au carcan trop lisse. La mise en scène ne se dirigeant que dans un sens, elle ne cherche jamais à perdre le spectateur au niveau émotionnel. Elle se veut percutante, elle n’est que chichiteuse. Dans une ambiance poisseuse type horrifique « Rosemary’s baby », ou purement psychologique « Rebecca » où le personnage se retrouve cloisonné, le spectateur doit ressentir au niveau visuel cet étouffement. Ici les lignes sont trop dégagées, les ambiances rarement troubles et ce n’est pas un ou deux effets à la Hitchcock (le vagin en 1ère image) qui donnent un ton, même le montage par sa rutilance est trop visible.


On reste donc sur sa fin (on en connaît les tenants et aboutissants au milieu du film), aucune surprise bref une petit pointe d’ennui pour une année Ozon sans…

Fritz_Langueur
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le 9 juin 2017

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Fritz Langueur

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