« Dans une conférence de 2010 consacrée aux Grands cinéastes de la chevelure, Alain Bergala note qu’on peut distinguer, en fonction des films et des cinéastes, "quatre niveaux d’investissements dans le motif de la chevelure". Parmi ceux-ci, le deuxième, assez banal et répandu, concerne le niveau du scénario et du sens : la chevelure est un "vecteur de scénario" ; un changement de coiffure suggère une transformation du personnage et, donc, une inflexion dans son histoire. On songe par exemple à Julieta de Pedro Almodóvar. C’est lors d’un changement de coiffure que l’héroïne éponyme accepte pleinement la mort de son mari et se reprend en mains – un changement à ce point spectaculaire que le personnage, jusque-là interprété par Adriana Ugarte, prend à ce moment (et pour le reste du film) les traits d’Emma Suarez.


Dans L’Amant double, le changement de coiffure intervient à l’entame du film, c’est-à-dire lorsque le personnage n’a pas encore d’histoire connue du spectateur. Celui-ci est donc amené à penser que ce changement de coiffure lui sera expliqué plus tard dans le film, éventuellement par le biais de flash-back. En attendant ces développements prévisibles, la scène inaugurale enclenche la machine à hypothèses, destinées à répondre à la question : qu’est-ce qui, dans l’histoire du personnage, justifie ce changement radical de coiffure, exécuté, en outre, avec une telle violence ? Daniel Devoucoux précise que "lorsqu’une femme se coupe brusquement, parfois elle-même, les cheveux, cela renvoie […] souvent dans les productions hollywoodiennes et européennes à une situation de crise". On imagine en effet le personnage joué par Marine Vacth en proie à une détresse profonde et au bord d’un changement radical de trajectoire. Plusieurs hypothèses viennent à l’esprit. On en mentionnera simplement deux. La première se base sur la coupe très courte du personnage et sur la démence qui se lit dans son regard : on imagine que cette nouvelle coiffure signe son entrée dans quelque institution psychiatrique, comme les cheveux coupés de Full Metal Jacket marquent l’entrée des conscrits dans les rangs de l’armée. Autre scénario possible : un changement aussi radical de coiffure suggérerait que le personnage commence, dès ce moment, une nouvelle vie, peut-être incognito, et veut rompre avec un passé douloureux. »


Extrait de « "L’Amant double" de François Ozon : Histoire de cheveux », en libre accès sur Le Rayon Vert – Revue de Cinéma en ligne.

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le 12 sept. 2017

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