Revenons, le temps d'un article, sur cette orgie cinématographique sans précédent dans l'Histoire du Septième Art que constitue L'amour braque du génial Andrzej Zulawski. Morceau de ciné-cinoque débordant d'idées, de maîtrise technique et d'émotions en tous genres L'amour braque est une oeuvre totalement accomplie, désespérément excessive, exaltée jusqu'à l'hystérie et belle jusqu'à l'indécence. Zulawski, épaulé du chef opérateur Jean-François Robin, sublime chaque plan de son chef d'oeuvre pour livrer une authentique expérience de cinéma, éventuelle transposition acidulée de L'Idiot de Dostoïevski : science du chaos organisé, magnificence des rues parisiennes, couleurs prononcées, vitriolées, superbes ; sens parfait du raccord et travellings d'une incontestable virtuosité... L'amour braque semble en permanence cheminer sur la corde de la sur-émotivité, habité d'un mouvement incessant et d'une intarissable énergie ! Poème grotesque, ampoulé voire même écoeurrant dans sa débauche de style et d'inventivité la pièce maîtresse zulawskienne n'en finit pas de réjouir la rétine et le tympan, capable de tenir sa charge d'émotions extrêmes sur l'intégralité du métrage : le résultat est exceptionnel.
Francis Huster, Sophie Marceau et Tchéky Karyo incarnent trois personnages proprement pittoresques : idiotes, déjantées, dépravées ou encore sexuellement débridées les figures du film sont en parfaite osmose avec l'écriture évocatrice du grand parolier Etienne Roda-Gil. Jouant sur de nombreuses références littéraires, théâtrales, musicales et cinématographiques les répliques de L'amour braque font l'effet de savoureuses punchlines propices à la sensation, au détriment du rationnel. Pas forcément évident dans son déroulement narratif le film de Zulawski prend parfois des allures de conte absurde, interprété par des comédiens tous plus hallucinants et hallucinés les uns que les autres, des principaux au moindre petit rôle. Roda-Gil joue énormément sur la musicalité de son texte, du reste dans un style plus chanté que véritablement écrit. En outre la bande originale signée Stanislas lance directement L'amour braque sur les chapeaux de roue dès son ouverture animée, clownesque, délirante...
Il résulte de ce festival de bruits, de fureur, de cris, d'explosions, de crises de larmes et d'états seconds une unité pratiquement irréprochable. Si l'on excepte la séquence de la représentation de la Mouette d'Anton Tchekhov - dans laquelle Zulawski semble parfois s'auto-commenter dans son registre exubérant - l'ensemble tient de la parfaite réussite cinématographique. L'amour braque figure donc parmi les indispensables de Andrzej Zulawski, un chef d'oeuvre dont chaque visionnage réserve de nouvelles vertus. Un film extraordinaire.