Et le film est lui-même plus froid encore.
Mais formellement, c'est épatant.
Dès la première image, on sait qu'on a affaire à un authentique cinéaste : ce pan de mur laissé à droite alors que les personnages sont entassés, avachis sur la gauche. Cet espace sera bientôt occupé par une bagarre. Fassbinder reprendra plusieurs fois ce procédé : ménager un espace vide, appelé à recevoir son contenu. Parfois aussi, il surprendra en faisant apparaître le personnage de l'autre côté du cadre que celui qu'on attend.
La deuxième scène est un vrai tableau : elle contient d'ailleurs un superbe tableau au mur. Deux types à lunettes de chaque côté dont un torse nu, une statue sur une table. Ce que j'appelle un plan composé. Je suis sous le charme. Puis, un long plan fixe sur Bruno devant un mur blanc. Il va se lier d'amitié avec Franz, le dur. C'est pourtant lui, le beau jeune homme au visage doux, qui va dézinguer à tout va. Un Delon tendre. Car on pense bien sûr au Samouraï, mais aussi à A bout de souffle (pour le personnage de Joanna) et à Bande à part (pour les tribulations de ce trio).
Sauf que Fassbinder ne se contente pas de copier ces maîtres : il fait preuve d'une véritable personnalité de créateur. Nous avons déjà évoqué la composition du cadre et le choix des plans fixes. En témoigne encore la scène très érotique dans le train entre Bruno et cette femme qui tire sur une cigarette (l'activité principale des personnages dans ce film). La pute au chemisier ouvert qui monte dans la voiture de Bruno, scène à laquelle répondra celle où Bruno ouvre le corsage de Joanna, se faisant doucher par un rire moqueur. Le long travelling dans les rues de Berlin lorsque Bruno cherche Joanna, avec des lueurs qui apparaissent sur les façades filmées. Le panoramique allant et venant latéralement dans le commissariat pour suivre le flic qui interroge Franz, suite à l'exécution d'un Turc et d'une jeune femme. La scène ébouriffante des lunettes volées dans un grand magasin, les trois malfrats tournant autour de la vendeuse, l'étourdissant. La longue scène de marche des trois personnages, la caméra reculant (j'ai pensé à Pasolini) jusqu'à ce qu'un flic apparaisse à moto. La scène chorégraphiée des achats (essentiellement des vols) dans la grande surface.
Toutes ces séquences révèlent des partis pris artistiques, ce qui ravira le cinéphile. J'aime aussi l'usage de la surexposition, qui démarque ironiquement le film de la tradition des films noirs.
Ce qui manque à ce premier film ? De la chair. Le film a été pensé "contre les sentiments" et en effet il n'y en a pas dans ce film : personne n'aime personne. Tout cela est très désincarné, et le film verse plus souvent qu'à son tour dans l'insolite pur. On sent que Fassbinder a voulu expérimenter, logique pour un premier film, mais l'oeuvre ne "dit" pas grand chose. On en ressort intéressé, assez bluffé même, mais pas totalement conquis.
7,5