Premier contact avec un Rivette, premier contact avec un film de la Nouvelle Vague. J'ai donc commencé ce petit marathon de 4 heures et 12 minutes avec une pointe d'excitation et un peu d'appréhension.
L'Amour fou nous permet de suivre les méandres artistiques de Sébastien, un metteur en scène travaillant sur Andromaque de Racine. Claire, sa compagne, détenait le rôle d'Hermione jusqu'à ce qu'elle quitte le navire, oppressée par la présence d'une équipe de tournage venue réaliser un reportage sur les répétitions. Martha, l'ex-femme de Sébastien, prend alors le relais.
Véritable poupée russe cinématographique, le film nous propose de suivre le fil de l'histoire en adoptant différents points de vues. Nous passons des répétitions de la pièce à la vie intime du couple en passant par le regard du réalisateur du documentaire.
Le déchirement du couple a beau prendre des tournures parfois exacerbées, il n'en reste pas moins criant de justesse et de vérité. Joie. Doute. Colère. Incompréhension. Solitude. Badineries enfantines. Crise. Folie créative partagée. L'alchimie entre Bulle Ogier et Jean-Pierre Kalfon fonctionne parfaitement bien à l'écran.
La mise en abîme du reportage apporte un regard extérieur à l'ensemble. Elle souligne les questionnements que nous pourrions nous poser en tant que spectateurs. Elle confronte les personnages aux non-dits et explicite l'ambiance pesante qui s'installe. Rivette utilise également ce biais pour partager sa conception de l'art théâtral : l'interventionnisme du metteur en scène, l'altération d'une oeuvre captée, la mise en mouvement d'un texte... Autant de concept qui vient également illustrer les mécaniques relationnelles et sociales qui s'opèrent entre les personnages.
C'est d'ailleurs toute la force du film. Nous sommes constamment ballottés entre ces différents niveaux de profondeur qui présentent puis explicitent les actions au fur et à mesure qu'elles se déroulent: le tout dans un élan de spontanéité et de liberté.
Le film comporte un bon nombre de scènes à l'apparence anodine, mais qui apportent beaucoup de sens au récit. Agissant comme des marqueurs métaphoriques, ils nous permettent de suivre l'évolution des trajectoires individuelles.
C'est à partir de la seconde moitié du film que les différentes strates commencent à rentrer pleinement en résonance. Les multiples "répétitions" font office de thermomètre général. Elles illustrent l'application des théories artistiques précédemment distillées. Elles synthétisent la tension ambiante. Elles expriment l'état d'âme vacillant des personnages.
La fin abrupte du film reflète bien sa thèse principale. Une création naît, non pas lorsque son créateur considère qu'elle est achevée, mais dès le début de sa mise en mouvement.