L'Amour ouf
6.7
L'Amour ouf

Film de Gilles Lellouche (2024)

Il est de ces films qui surgissent de temps à autre, que l’on a naturellement envie d’aimer de tout notre cœur. Parce que justement on sait à quel point leur auteur les aura portés pendant parfois de très nombreuses années, avant de pouvoir donner vie à leur vision, et que l’existence du film en soi parait déjà miraculeuse. Seulement en dépit de toutes les attentes parfois démesurées que l’on peut placer en tel ou tel projet, il faut parfois se rendre à l’évidence qu’entre le geste et le résultat il y a un gouffre infranchissable. Inutile de se lancer dans un listing de tous les films de l’histoire du cinéma qui pour cause d’attente trop grande, se seront crashé en plein vol, parfois pour être réévalués quelques années plus tard, parfois définitivement. Le film qui nous intéresse aujourd’hui fait clairement partie de cette liste de projets qui sur leur base même, intriguaient depuis un bon moment. Adaptation d’un roman apportée à Gilles Lellouche par son ami Benoît Poelvoorde, ce dernier étant persuadé qu’il y a là une base pouvant toucher l’acteur / cinéaste, il s’agit à l’évidence d’un projet ambitieux et démesuré, qui en dépit de ses velléités d’auteur, cherche aussi à dialoguer avec le grand public. Gros budget, casting XXL, et teasing choc annonçant des influences allant loucher sur le grand cinéma américain, allant des comédies musicales type West side story aux fresques mafieuses du grand Scorsese. Un peu beaucoup vous croyez ? Pas pour Gilles Lellouche qui envisage ici un geste de cinéma purement fantasmatique, nourri à la fois de ses glorieuses références cinématographiques, et d’une envie de lyrisme amoureux aux accents plus personnels, avec comme toile de fond les 80’s de son adolescence. Ce à quoi on peut ajouter une BO rutilante ajoutant encore au cachet final. Bon, et alors, pourquoi un acteur français populaire ayant déjà à son actif un énorme succès public n’aurait pas le droit de se payer son fantasme de cinéma ultime regroupant tout ce que lui, spectateur, a toujours rêvé de voir étalé à l’écran dans un même mouvement ?

Présenté à Cannes en grande pompe, en Compétition, avec au final des critiques que l’on dira poliment plutôt décevantes, le film nous parvient aujourd’hui, prêt à affronter le « vrai » public, celui pour lequel il a réellement été conçu. Et de ce côté-là, pas de panique, cela devrait bien se passer. Pour cette histoire d’amour visant à chaque instant une sorte d’Absolu typique de cet élan adolescent où ce que l’on vit prend des proportions démesurées, ce cher Lellouche ne cherche pas la demi mesure, et va en quelque sorte viser le climax continu, les moments paroxystiques, l’accumulation, le plan qui claque succédant au plan qui claque, sans jamais s’économiser ni craindre le potentiel ridicule. Il pose tout sur la table, tout ou rien, à chaque seconde, pour nous livrer ce qu’il envisage à l’évidence comme la quintessence de tout ce qui constitue le cinéma, ou plutôt devrait-on dire le cinoche, le pur, l’authentique, celui qui nous vrille les tripes et ne nous laisse pas le temps de respirer. Pure note d’intention prenant le risque de s’écrouler à tout instant par surenchère et jusqu’au boutisme maniériste, le résultat nous prend pourtant par le col pour ne plus nous lâcher durant les quelques 2h40 que dure la projection. Car pour lui, un plan que l’on ne remarque pas est un plan de perdu, il va donc chercher sans cesse le meilleur moyen de rendre le plus cinégénique possible ce qui ailleurs relèverait de la pure convention, ou du banal le plus triste.

Situé dans le Nord de la France, dans des décors habituellement filmés de manière bien plus terre à terre, le film va se transformer en pur territoire de cinéma, Lellouche se posant visiblement la question de comment réinventer des lieux assez tristes pour y intégrer ce qui dans l’inconscient collectif relève plutôt d’un imaginaire purement Américain. Il chorégraphie des scènes appartenant au cinéma de gangster comme des ballets sortis de West side story, filme les élans amoureux en assumant les clichés Harlequin, multiplie les effets de style et de montage, sur fond d’esthétique esthétisante sortie tout droit du jeune cinéma français des 80’s, bref s’éloigne à tout instant de tout réalisme pour embrasser une certaine artificialité, les personnages rêvant de plus grand que leur espace étriqué, et vivant en quelque sorte leur film américain, avec ce que cela implique de clichés avec lesquels il semble jouer sans aucune once de recul cynique.

Totalement premier degré, le film a donc tout pour s’attirer les foudres, justement, des cyniques, qui ne pourront pas admettre une démarche à ce point débarrassée de toute retenue, poussant tous les potards à 1000. La romance est passionnée, comme dans les grands romans ou les films à l’eau de rose, on s’insulte pour se balancer juste après des regards langoureux et se rouler des pelles à l’avant d’un train, on se parle à travers des phrases plus grandes que la vie volontiers sur-écrites, en bref, on ne s’économise pas, que cela soit devant ou derrière la caméra. Et si l’on doit être honnête un instant, il faut bien reconnaître que cela ne fonctionne pas toujours. Forcément, quand on semble à chaque seconde mettre le film en jeu, voir même sa vie, en refusant la moindre baisse de régime ou le moindre instant un peu plus retenu, on prend le risque de la sortie de route, du moment plus grand que grand provoquant un rire, pas forcément méchant, disons plutôt amusé, pas forcément voulu par le réalisateur. Mais au fond, qu’importe, tant qu’on a l’ivresse ?

Il arrive aussi qu’au milieu de ces excès divers, de cette réflexion sur l’amour parfois digne d’une première rédaction d’un ado poète, ou de la notion de choix explorée avec une naïveté confondante, surgissent de vrais beaux moments, ces fulgurances que l’on cherche dans tout film digne de ce nom, et ces moments, à eux seuls, peuvent s’avérer bien plus précieux qu’un film plus abouti, plus mesuré dans ses effets, plus homogène, mais moins flamboyant. Car en dépit de ses inévitables ratés, voir même de son petit manque de souffle empêchant d’être totalement grisé, le tout vibre d’une telle envie de cinéma, d’une telle sincérité, et d’un charme si authentique, que l’on ne peut à l’issue qu’avoir envie de le défendre, ce sentiment n’empêchant pas de reconnaître que le grand film dont rêvait Lellouche n’a pas totalement eu lieu. Il faut accepter de se laisser aller, malgré tout ce que l’on peut ressentir comme limites au démarrage, cette impression pendant une partie du film que le tout pourrait s’effondrer à tout instant, pour cause d’excès mal maîtrisé ou de kitsch trop appuyé. Mais une fois ces aspects admis, et embrassés, il ne reste qu’une solution : passer un bon moment, ou ricaner méchamment. A priori, au vu de cette avant première à laquelle j’ai assisté, il est permis de se dire que les attentes placées en lui devraient être exaucées.


micktaylor78
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