L'Amour ouf
6.8
L'Amour ouf

Film de Gilles Lellouche (2024)

La critique qui ne fera pas ce jeu de mot attendu

Il va sans dire que L’Amour ouf est parti pour l’être l’un des événements de l’automne 2024 – pour ne pas dire de l’année. En même temps, nous parlons ici de la toute nouvelle réalisation de Gilles Lellouche, six ans après le succès critiques et commercial du Grand Bain. Un projet qui lui tient tout particulièrement à cœur, l’ayant en tête depuis près de dix-sept ans et qu’il concrétise aujourd’hui avec un casting cinq étoiles (Adèle Exarchopoulos, François Civil, Vincent Lacoste, Alain Chabat, Raphaël Quenard, Jean-Pascal Zadi, Benoît Poelvoorde, Élodie Bouchez, Karim Leklou…) et un budget des plus conséquents. Soit plus de 35 millions d’euros, tout simplement le financement le plus important jamais alloué par StudioCanal pour un long-métrage de cinéma. Non pas que chiffres soient synonymes de réussite artistique, il n’empêche que ce détail doit être mis en avant, ne serait-ce que pour souligner l’ambition avec laquelle Lellouche s’est attelé à son projet. Car oui, « ambition » est clairement le maître mot de cette immense fresque romantique (2h46), se présentant à la fois comme atout et défaut d’un titre tout aussi sympathique qu’imparfait.


À bien écouter Gilles Lellouche lors de l’avant-première du film, sa nouvelle réalisation est avant toute chose une ode à l’amour. Celui de la première fois, ou encore celui, véritable, plus fort que tout, qui traverse le temps sans jamais se consumer. Dans L’Amour ouf, nous y suivons donc deux adolescents. Jacqueline dite « Jackie », une jeune fille ayant perdu sa mère sous ses yeux et ne faisant rien depuis pour avoir une vie un minimum stable. Clotaire, petit voyou de quartier qui passe son temps à traîner et à enchaîner les larcins, au grand dam de son père. Deux esprits opposés, issus de classes sociales différentes – lui est du milieu ouvrier alors qu’elle provient d’une famille un peu plus aisée – qui vont se rencontrer par hasard et connaître une histoire d’amour ô combien forte. Si puissante que même les années et les épreuves – notamment le passage de Clotaire par la case prison pendant une dizaine d’années – ne peuvent atténuer l’intensité vécues entre ces deux êtres perdus. Hormis, l’amour dans le sens romance, le titre évoque également celui dit familial. Ou comment un père veuf semble tout faire pour le bien-être de sa fille, une mère se préoccupe pour son garçon sans l’étouffer et un criminel sacrifie l’un de ses meilleurs atouts pour protéger son fils de la justice. Autre que les parents, l’amour familial, c’est également la relation entre Clotaire et son jeune frère, ce dernier le suivant comme son ombre. Et enfin, le long-métrage parle également de l’amour amical. Celui qui permet à des amis de se retrouver malgré une dispute et le passage du temps. Et celui qui se révèle douloureux quand l’irréparable se produit. Bref, tout cela pour dire qu’avec ce long-métrage, Gilles Lellouche a voulu parler de l’Amour, avec un grand A. Que son désir était de raconter une histoire touchante redonnant tout son sens au terme amour. Et en abordant son récit au premier degré avec beaucoup de simplicité et de sincérité, autant dire qu’il y parvient. Car malgré les obstacles que doivent affronter les protagonistes, il s’agit là d’un film qui donne du baume au cœur en offrant des séquences poignantes.


Mais derrière cette soit disant simplicité, L’Amour ouf se révèle également être un véritable terrain d’expérimentation pour Lellouche. Sur lequel le cinéaste a pu tester toute sorte d’effets – de montage, de mise en scène… – pour mettre en images son ambition. Et sur ce point, impossible de ne pas y voir la générosité avec laquelle Lellouche a pu s’exécuter pour livrer un véritable melting pot. De ses références cinématographiques, oscillant entre le cinéma de Scorsese (pour l’intrigue), West Side Story (la partie dansée) et les films d’exploitation des années 80 (l’apparition du titre). Mais surtout de toutes ses idées et envies d’imager les émotions de ses personnages. Oscillant entre une bande originale très personnelle à base de The Cure et une photographie soignée, Lellouche enchaîne les effets inventifs à une vitesse folle. Comme cette caméra inversée qui présente au public un jeune Clotaire alors en pleine dispute avec son frère. Ou encore cette séquence parallèle où nos deux héros semblent se retrouver le temps d’une éclipse, après une décennie de séparation. D’un côté, cela permet au film de sortir des carcans classiques des fameux champs/contre-champs, offrant à l’ensemble une très forte personnalité. De l’autre, cela renforce la naïveté – sans être péjoratif dans le choix de ce mot – et donc la sincérité de cette romance.


Mais à trop jouer avec ses ambitions techniques, Gilles Lellouche apporte à son film des lourdeurs venant altérer la bonne impression du visionnage. Car si la première partie de l’intrigue – celle où l’on suit nos personnages à l’adolescence – fonctionne, c’est justement par cette naïveté très premier degré de l’œuvre. Ayant des protagonistes en plein éveil des sens et de la vie, l’amour vécu s’en retrouve embelli et innocent. Qui plus est servi par de jeunes comédiens prometteurs (Mallory Wanecque et Malik Frikah) et des moments de violence venant trancher avec la beauté de leur histoire – comme si la réalité venait rattraper le rêve –, L’Amour ouf captive pendant une bonne heure et demie. Et ce avant de sombrer dans quelque chose d’un peu plus risible. Et pour cause, en gardant cette naïveté alors que les personnages évoluent et gagnent en maturité, le long-métrage s’en retrouve un poil boursouflé et donc moins convaincant. Il existe certes quelques passages qui touchent en plein cœur, notamment ce joli moment entre Exarchopoulos et Bouchez. Ou encore les scènes entre père et fille avec Alain Chabat qui, à mon sens, est le meilleur comédien de tout le film. Mais la sauce ne prend malheureusement plus, allant jusqu’à mettre en avant des défauts jusque-là masqué par cette délicieuse naïveté. Comme des personnages secondaires ou des thématiques sociales (la vie des ouvriers dans les années 80) beaucoup trop survolés. Des comédiens se retrouvant, pour la majorité, dans leur zone de confort – Exarchopoulos joue Exarchopoulos, Jean-Pascal Zadi du Zadi, Raphaël Quenard interprète Quenard… Ou bien ce mélange des genres entre romance et film de voyous, ces derniers ne parvenant plus à cohabiter sans que cela surprenne, voire gêne, au visionnage. L’exemple-type revenant principalement au personnage de Lionel, jeune délinquant réfléchit qui se transforme en véritable comique une fois passé à l’âge adulte. Et dont le sort apparait si brutalement – et de manière prévisible – que l’émotion n’arrive pas à se faire ressentir comme Lellouche souhaiterait. Et c’est bien dommage…


C’est clairement à prendre ou à laisser ! Soit vous vous laisserez porter par la sincérité et la générosité de l’œuvre, soit vous vous perdrez en chemin sans pouvoir vous y rattacher. Personnellement, je me suis retrouvé dans la seconde configuration. Emporté par la romance, j’ai peu à peu décroché par ce qui me paraissant finalement être un amoncellement d’excès. Jusqu’à trouver la seconde partie un poil longue et ennuyeuse, et ce alors que le film fourmille malgré tout de très bonnes idées et de moments forts ! Mais Lellouche s’est montré beaucoup trop ambitieux à mon goût pour délivrer le spectacle tant promis qu’aurait dû être L’Amour ouf.


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