Avec le segment Las Vegas de Les Infidèles, puis surtout Le Grand Bain, Gilles Lellouche a montré qu’il était capable de nous faire rire (et de nous attendrir pour le second) en passant derrière la caméra. Si la réalisation restait sage, c’est dans la direction d’acteur et le scénario qu’il tirait son épingle.
Avec L’Amour Ouf, il se permet enfin de dépasser le cadre dans lequel il s’était jusqu’alors confiné pour expérimenter tant sur le fond que sur la forme. Un projet déjà annoncé dans le titre (qui est celui français du roman original) de façon espiègle, entre langage de djeuns et promesse de chaos. Car c’est bien de chaos qu’il s’agit. Derrière cette histoire d’une passion contrariée, c’est le parcours de deux individus qui dépassent du cadre, qui ne sauraient rester dans la petite bulle qui leur a été assignée. Clotaire veut plus que son père, ouvrier qui semble vivre pour travailler plutôt que le contraire. Jackie refuse le tracé plan-plan bobo qui se dessinait devant elle. Deux opposés qui s’attirent et qui se canalisent un temps. Un amour qui permet d’accepter un système autrement insoutenable (et d’ultimement comprendre l’abnégation des figures paternelles), le chaos qui accouche d’une étoile, petite mais suffisamment luisante pour deux. Je pense que l’on se reconnaît tous un peu dans cette vision : celle d’un monde malade qu’il est bien plus compliqué d’arpenter seul qu’avec un être cher. Le bonheur est prouvé par les études sociologiques qu’il émane des relations que l’on entretient, l’isolation poussant souvent à une spirale cynique et désolante. “Dans l’avenue des gens heureux, les gens se promènent souvent par deux” dirait les gars de We Are Match. Apprenez donc à aimer, cela dépassera votre haine ou votre dépit.
Pour soutenir son message, Lellouche se dote d’un casting qui rassemble tous les acteurs en vogue dans une liste quasiment exhaustive : Civil, Exarchopoulos, Lacoste, Zadi, Chabat, Poelvoorde, Bouchez, Leklou, Quenard, Bajon… Et surtout de deux jeunes qui risquent fort de rafler les meilleurs espoirs : Malik Frikah et Mallory Wanecque. Deux nouveaux talents à la palette bien trop large pour leur manque d’expérience qui viennent crever l’écran et voler la vedette à tout le beau monde cité. D’autant plus qu’ils sont mis en valeur par des trouvailles formelles qui viennent ajouter une saveur particulière à l’ensemble, une tonalité kitsch assumée aux accents de tragédie shakespearienne. On regrette que les scènes de comédie musicales aient finalement été retirées de la version finale, malgré que certains relents de cet élan subsistent (comme cette scène d'intro rythmée par les coffres et portières de voiture). Lellouche livre sa nostalgie des eighties à travers sa mise en scène plutôt que par des références lourdes, et le fait de façon sincère et personnelle plutôt que mercantile.
Une telle entreprise s’accompagne toutefois de quelques embarras, comme un déséquilibre rythmique entre les deux parties du films (la première, celle de l’adolescence, s’étirant un peu trop pour pas grand chose), ou la présence de Jean-Pascal Zadi qui, s’il me fait beaucoup rire lorsque son unique personnage est utilisé à bon escient dans d’autres productions, est à côté de la plaque dans le récit proposé là.
L’Amour Ouf est in fine drôle et touchant, délivre un message auquel j’adhère pleinement, et laisse entrevoir une nouvelle facette de Lellouche cinéaste, celui-ci s’extirpant du comique de service pour proposer une vision de la narration par la caméra.