Dans la foulée de cette dense période composée de films très ambitieux dans lesquels les cinéastes prennent beaucoup de risques (Megalopolis, Emmanuelle, Joker Folie à deux), L’Amour Ouf vient bruyamment clore le cortège. Projet porté par Gille Lellouche depuis des décennies, permis par le succès de son premier film en tant que réalisateur, Le Grand Bain, L’Amour Ouf est le film de tous les excès. Un casting qui convoque la moitié des habitués aux César, maelstrom lyrique d’amour absolu, de violence et de nostalgie, durée déraisonnable (2h46), rien ne manque au storytelling de sa promotion, quitte à rendre l’attente démesurée, dans une année où le cinéma s’est offert de colossaux succès (Un p’tit truc en plus, Monte Cristo) et où l’on peut imaginer le public séduit par cette proposition hors norme.
Le film rejoindra exactement la tendance des précédents, tant il donne envie qu’on le défende, en dépit de nombreux écueils.
Tout d’abord pour cette enthousiasmante première partie, concentrée sur l’enfance des deux protagonistes, incarnés par les formidables Malik Frikah et Mallory Wanecque. Lellouche, qui se jette à bras ouverts dans la nostalgie des années 80, mêle avec talent les montagnes russes de l’adolescence, et joue de tous les contrastes (désir et rejet, différences de classe sociale, amour et violence) pour exacerber les sentiments. Une très séduisante bande sonore achèvera de convaincre, pour quelques sommets vintage (The Cure, Billy Idol, Prince, Deep Purple, une superbe séquence sur The Alan Parson Project), un duo dansé bluffant, histoire de faire tomber toutes les barrières. Lellouche est sincère, sa caméra en osmose avec ses comédiens, et les invariants de la tragédie à la Roméo et Juliette se greffent avec brio à la légende nationale.
La structure, qui reprend sur bien des points celle d’Il était une fois en Amérique, suit dont le récit initiatique de jeunes garçons dans le gangstérisme, la prison faisant office d’ellipse avant la transition vers l’âge adulte.
Et c’est là que les choses se gâtent. Alors que la magie de l’enfance s’étiole, le récit poursuit avec la même détermination, persuadé que la même vigueur, la même violence, le même lyrisme doit animer ses personnages en proie, malgré les blessures de l’existence, à cet « amour ouf ». Insatisfaite de son mariage bien sage et pourtant heureux, Jackie dit à son mari : « Bien, c’est pas suffisant » : un mantra que Lellouche applique au film. L’intention est louable, la conviction touchante, mais les maladresses s’accumulent, le cinéaste s’essayant à tout le panel stylistique à sa disposition, à la manière d’un étudiant à qui on aurait filé les clés de la régie. Travellings circulaires et latéraux, vision subjective filtrée en rouge pour sortir d’une poubelle, split screen avec larmes synchronisées, comédie musicale gênante, Lellouche ne se refuse rien, et personne ne semble lui avoir dit qu’il fallait peut-être lever le pied à un moment. L’ensemble en souffre, car les comédiens adultes (et particulièrement François Civil) ne sont clairement pas à la hauteur de la première partie, le casting s’embourbant dans des compositions caricaturales (Poelvoorde), fades (Chabat), peu convaincantes (Lacoste) ou clairement anecdotiques (Zadi, Bajon). La morale, qui semble issue d’un programme de l’éducation nationale en faveur de l’alphabétisation (avec citation finale de La Fontaine), occasionnera un sourire gêné et poli. Et l’artifice d’intrigue proposé dans le prologue, proprement impardonnable, prend le risque de susciter le rejet pour l’ensemble du récit.
Peut-être faut-il garder son âme d’enfant pour foncer tête baissée dans cette course folle, et résister à l’agacement ou les éclats de rire face à ces maladresses, qui restent, quoi qu’il en soit, le fruit d’une envie sincère de cinéma par un passionné généreux et convaincu.
(6.5/10)