Un précipité de cinéma littéralement foudroyant, unique et jusqu'au-boutiste : voilà ce qu'est L'Ange de Patrick et Michèle Bokanowski, monument filmique expérimental piochant ses formes dans les canons picturaux, sculpturaux, photographiques et architecturaux. Éminemment plastique ce premier long métrage - d'une maîtrise technique proche de la perfection - est un geste chevronné de l'Art pour l'Art ; Patrick Bokanowski semble construire son objet-somme avec tout l'apanage du caligarisme : distorsion des décors, manies et obsessions des figures représentées, brouillage des repères et gauchissements géométriques, ombres démesurées et dimension atemporelle des différents embryons narratifs ici développés...
En termes de peinture L'Ange est un film de rêve, logé quelque part entre les perspectives expressionnistes d'un Munch et les mouvements fragmentés d'un Degas. Tout, seconde après seconde, photogramme après photogramme, éblouit le spectateur de ses stries, percées et autres agressions visuelles ; à la manière d'une estocade le film de Patrick et Michèle Bokanowski appose un punctum, une singularité de tous les instants pour tout un chacun... Les nids de guêpes, envolées grinçantes et autres cacophonies des cordes plaintives de Michèle dénotent avec la splendeur et la texture des images de Patrick, densifiant davantage un film à la matière quasiment intarissable.
Le montage joue principalement sur deux modes narratifs : l'attraction et la répétition... en résulte un tourbillon à la musicalité intermittente, maelström mêlé de poudres, de saillies et d'étrangeté kafkaïenne. Une Oeuvre totalement libre et insituable, se nourrissant d'une mythologie séculaire tout en y insufflant ses propres figures. Un chef d'oeuvre sidéral, contemporain des premières créations de David Lynch et du cinéma des frères Quay, arme scopique résolument séduisante et insolente. Un incontournable.