“Everywhere… in every town, in every street… we pass, unknowing, human souls made great by love and adversity.”
Avec Borzage, c’est une certaine conception du cinéma qui s’exprime : le mélo a certes pour vocation d’émouvoir, mais c’est avant tout une fable morale. Le carton initial en est l’indicateur. Entre L’heure suprême et L’isolé, toujours avec le splendide couple Charles Farrell/Janet Gaynor, le cinéaste investit un autre haut lieu du romantisme, Naples.
Le misérabilisme s’invite dès l’exposition, par la destinée contrariée d’une jeune innocente oscillant entre la rue, la maladie de sa mère et la sombre perspective de la prostitution. Dès lors, la cohabitation de forces antagonistes va structurer la dynamique narrative, conformément au cahier des charges du registre. L’amour, la grâce, la rédemption se présentent au coin de la rue, mais au même carrefour que les démons du passé, la loi, l’injustice et la malchance.
La couleur locale de la carte postale, ici italienne, est dotée d’un véritable charme, notamment à travers le portrait du bonimenteur de cirque qui accueille la cavale de l’héroïne. L’Ange de la rue est un Borzage plus romanesque, au trait un peu plus forcé dans ses péripéties, et dont la résolution n’est pas totalement convaincante. Mais le cœur même du sujet est l’occasion pour le cinéaste d’approfondir la question du portrait.
Alors que certains de ses plus beaux plans s’attachent aux inflexions des sourires et des regards, le motif central du récit en est la peinture, et la sublimation de la disparue par sa représentation sous forme d’icone. Alors que dans L’Heure Suprême, le couple communiait par une prière à distance, à heure fixe tous les jours, entre le front et Paris, l’adversité conduit ici les amants à passer par l’image, après avoir partagé un sifflement comme mélodie commune à leurs cœurs, indice de l’arrivée imminente du parlant chez Borzage.
L’atmosphère solaire des débuts laisse donc place à l’obscurité, et à tout le talent du chef opérateur Ernest Palmer, fidèle de Borzage et collaborateur de Murnau sur L’Intruse, sur une ville envahie par la nuit dans laquelle errent les protagonistes. La résolution se fera donc par la lumière : une allumette à proximité d’un visage, et la révélation d’un tableau apte à donner la grâce.
L’expressionisme vibre donc encore dans ce film qui compte parmi les derniers de la période muette du cinéaste : la prééminence de l’image et de la lumière l’emportent sur un récit qui ne brille pas par sa subtilité. Mais leur capacité à imprimer la rétine est indéniable.
(7.5/10)