Dans ce film issu de sa période mexicaine, Luis Buñuel semble faire un retour au surréalisme de ses débuts, celui de l'Age d'Or, avec moins de provocation toutefois. Il est difficile de classer cette œuvre : film fantastique en huis-clos ? Film sur l'absurde à la Quentin Dupieux ? Critique de la bourgeoisie et de son charme discret? Exercice de style ? Ou tout cela à la fois, le point commun étant la volonté de surprendre.
Le début surprend en effet. Nous voyons une entrée de grands bourgeois dans une demeure, suivie d'une sortie de deux domestiques. Puis une double entrée des riches et une double sortie des domestiques. « Je me suis toujours senti attiré, dans la vie comme dans mes films, par les choses qui se répètent . Je ne sais pas pourquoi., je ne cherche pas à l'expliquer. » dit Buñuel .
Le titre surprend: le titre prévu au départ était Les Naufragés de la rue de la Providence mais « L'Ange exterminateur » était libre de droit, autant ne pas s'en priver. Le film acquiert une autre dimension avec un tel titre. Bien évidemment il n'est jamais question ni d'ange, ni d’exterminateur, ni d'Apocalypse. Et la Providence divine brille par son absence, à moins qu'elle ne veuille montrer aux bourgeois que, face à l'adversité, ils se comportent comme le peuple qu'ils méprisent.
Le postulat de départ peut surprendre. Personne ne peut sortir de la demeure pour une raison inconnue. Malédiction, champ magnétique, hypnose collective, conditionnement dû au conformisme bourgeois. L'hypothèse d'un confinement ciblé décrété par l'Etat devient à l'heure actuelle une autre alternative crédible. Pour le Charme discret de la Bourgeoisie un procédé similaire sera adopté : une force invisible empêche des amis de dîner tout au long du film. On le sait Buñuel aime la répétition.
Le film verse peu à peu dans l'horreur sociale. La nourriture commence à manquer, il n'y a plus d'eau et les tensions montent, le vernis social se craquelle. Des bagarres éclatent. Le spectateur est dans l'attitude du chercheur qui observe des rats de laboratoire en train de se battre à l'intérieur d'une cage dont ils ne peuvent s'échapper. On devine Luis Buñuel en train de jubiler derrière la caméra. Un bouc émissaire devient nécessaire pour évacuer le stress : ce sera l'organisateur de la réunion.
Il ne faudrait pas réduire le film à une allégorie sur l'hypocrisie de la bourgeoisie qui s'efforce de cacher des comportements barbares. Une approche plus fine souligne cependant une coïncidence troublante : les bourgeois sont totalement désemparés à partir du moment où le prolétariat n'est plus là...
La fin du film fait suivre les images des bourgeois enfermés dans l'église par celle de moutons qui rentrent dans l'église. Le message devient plus clair. Les bourgeois sont enfermés dans leur religion et leurs certitudes, dans le respect de l'ordre établi, comme quand Franco massacrait le peuple et qu'ils le laissaient faire, en niant la réalité.
Si j'ai aimé l'ambiance, les séquences de rêve et les dialogues, j'avoue être resté assez perplexe pour relier certaines scènes du film entre elles. L'une des difficultés consiste dans le nombre important d'invités réunis, incarnés par des acteurs mexicains sans doute célèbres dans leur pays mais dont aucun visage n'est familier. Dans Minuit à Paris de Woody Allen, Luis Buñuel demande à Gil Pender (Owen Wislson) pourquoi les personnages de son film ne peuvent s'en aller. Si vous voulez le savoir, Gil Pender connaît la réponse...