L'Ange ivre par Philistine
Un film déchirant qui prend vie grâce au superbe duo Takashi Shimura / Toshirô Mifune. Toshirô joue Matsunaga, un jeune yakuza très puissant, le chef du quartier, qui voit son statut radicalement changer après avoir appris qu'il a une tuberculose. Il est soigné par le Docteur Sanada,, ce vieux roublard de la vie que je vais laisser se présenter tout seul : "aime-moi plutôt moi, je suis moche mais je te soignerai gratis". (Autre réplique culte : "c'est chouette la voiture, ceux qui marchent semblent idiots".)
Dès le départ, par ses hésitations et sa violence un peu trop accentuée, on a espoir en la guérison de Matsunaga. Il a le profil du méchant au bon fond. Il peut se soigner, il lui suffit d'écouter les recommandations du docteur. Mais on se rend compte que les enjeux sont plus vastes ; par exemple, que même s'il est interdit d'alcool, il ne peut pas refuser de boire s'il veut rester un yakuza.
Et le tragique monte, lentement mais sûrement. La première image du film : une mare puante, qui revient constamment comme un rappel de la pourriture de ce monde. Comme si le film était subjectif, et peut-être pour forcer l'identification, la laideur des rues de Tokyo est donnée à voir au spectateur parallèlement au développement de la maladie de Matsunaga, qui elle-même permet au personnage de constater combien il est finalement seul et impuissant. La cruauté est sans merci. Alors que la serveuse amoureuse, enfin, propose à notre malade de s'occuper de lui et lui offre une possibilité de renouvellement, le propriétaire entre, et derrière le mur, lâchement, il dit à la serveuse : « Ne le fais pas boire. » On pense qu'il se préoccupe de l'état de santé de Matsunaga, mais après un léger temps, il ajoute : « Le clan ne le finance plus. »
La construction du film est vraiment réussie : efficacité narrative, profondeur des personnages, grandes scènes et petits à côtés.
Dans les grandes scènes, je pense notamment à ce moment où Matsunaga est abandonné par une femme, qui cherche à partir dans son dos. Lui réagit difficilement. Mais le transfert a opéré, le spectateur est devenu violent à la place de Matsunaga, si bien que je crois qu'on ne peut pas ne pas se dire : « sale pute ». (En plus, quelle garce, un bel homme comme ça ! et vulnérable, de surcroît ! mais il faut lui sauter dans les bras et le rendre redevable à jamais !)
Quant aux « petits à côtés », je pense à ce joueur de « mandoline » qui fait la bande-son du début du film, heureux, et qui est perturbé par un autre joueur, une nouvelle mélodie. Admirable emploi donc de la musique, signifiante. Sans parler du montage en parallèle au climax du film, embaumé par une grosse musique à violons : vous vous souvenez, cet instrument qui appelle la goutte d'eau au fond de votre oeil ? Quand je dis « sans parler », c'est littéral, puisque je n'ai pas le droit de vous révéler la fin...
Le plaisir est à vous.