Fleur de sang
Un film dont on ne sort pas indemne : la guerre dans toute son abomination montrée avec un réalisme terrifiant, à tel point que dès les premières images de ce combat sino-japonais j'ai eu...
Par
le 3 déc. 2011
49 j'aime
39
Yasuzo Masumura filme la guerre (plus précisément la guerre sino-japonaise, en 1939), mais, à part pour la bataille qui constituera le dénouement, celle-ci reste hors-champ, on en voit plutôt les conséquences: les blessés, et ceux et celles qui les soignent dans les hôpitaux de campagne.
Les quelques plans d'opération sont déjà malaisants, mais tout concourt à dénoncer la guerre, à une époque où le Japon n'avait pas complètement fait son mea culpa quant aux conflits qui l'opposèrent successivement à la Chine, à l'URSS et aux USA: gémissements de blessés entassés les uns contre les autres, soignants épuisés, bruitages immondes, plan sur un seau rempli de mains et de pieds coupés,... Ou encore cette scène où, pour tenter de l'immobiliser, l'héroïne se couche sur un soldat qui se tord de douleur. Pour ne pas retourner au combat, certains trichent ou sont carrément prêts à l'auto-mutilation. Le conflit est vu comme une absurdité, l'ennemi, qui reste presque toujours invisible, n'est pas pour autant perçu comme un monstre, on évoque le manque de moyens pour le personnel de santé et de lucidité pour les généraux.
Le chirurgien Okabé représente parfaitement la tragédie en cours: chaque jour, il doit faire le tri entre les blessés, mutiler des hommes pour qu'ils aient quand même une chance de survie, voir mourir nombre de ceux qu'il se donne tant de mal à soigner; dégoûté de tout, y compris de lui-même, il tente de fuir dans l'alcool et la morphine. Le film a aussi le mérite d'évoquer les "femmes de réconfort", ces Chinoises et ces Coréennes contraintes à se prostituer auprès des soldats japonais.
Au cœur de cet enfer, il y a cependant une lumière, aussi immaculée que son uniforme: l'infirmière Sakura Nichi, incarnée avec une sobriété pleine de justesse par Ayako Wakao. Elle a plus qu'une volonté: une mission, celle de soulager les blessés, de toutes les manières possibles...
Certains mauvais esprits diront que c'est un film sexiste, puisque l'héroïne semble soumise à la volonté des hommes (et à leur libido) et qu'elle ne se révolte pas. Mais ce n'est évidemment pas si simple. La malheureuse Sakura subit dès son arrivée un viol collectif (histoire de rappeler que les blessés ne sont pas meilleurs que les autres, malgré leurs souffrances), mais il est filmé sans complaisance et la caméra s'éloigne rapidement. Elle n'hésite pas à dénoncer ses bourreaux, qui subissent comme sanction une quasi-condamnation à mort: le renvoi sur le front!
Malgré tout ce qu'elle encaisse, elle reste d'une empathie inaltérable, mais le fait qu'elle s'attache à des hommes voués à mourir la condamne à de nouvelles épreuves. Elle seule sera épargnée par le carnage final.
Un film vraiment particulier, qui réussit de façon quasi-miraculeuse l'équilibre délicat entre l'âpreté et la grâce.
Créée
le 19 janv. 2025
Critique lue 3 fois
D'autres avis sur L'Ange rouge
Un film dont on ne sort pas indemne : la guerre dans toute son abomination montrée avec un réalisme terrifiant, à tel point que dès les premières images de ce combat sino-japonais j'ai eu...
Par
le 3 déc. 2011
49 j'aime
39
Une flopée de notes dithyrambiques et son cortège de critiques laudatives donnait furieusement envie de découvrir cette chose... Aussi, lorsque Gizmo et Mothershaiev me proposent de foncer à la...
Par
le 6 mai 2012
22 j'aime
6
En temps de guerre les émotions deviennent plus fortes, elles sont décuplées par la peur de la mort, ou par l'instinct de suivie, ou peut-être par les deux? Toujours est-il qu'une jeune infirmière va...
Par
le 27 oct. 2022
19 j'aime
2
Du même critique
"Chasseur blanc, cœur noir" s'inspire des préliminaires du tournage d' « African Queen » de John Huston et s'achève ironiquement lorsque John Wilson (Clint Eastwood), le réalisateur,...
Par
le 6 sept. 2021
3 j'aime
2
"La Corruption" est une satire cinglante et impitoyable de l'Italie de la prospérité retrouvée, où Bolognini fait voler en éclats la figure du “pater familias”, ici un despote sans scrupules...
Par
le 8 mai 2021
3 j'aime
Arnaud Le Gouëfflec et Nicolas Moog ont des parcours éclectiques: à titre d'exemples, le premier a signé une bio de Lino Ventura en BD, avec Stéphane Oiry au dessin ("Lino Ventura et l’œil de...
Par
le 1 oct. 2024
2 j'aime