Dave Wilson, citoyen britannique qui vient de passer neuf ans en prison, se rend à Los Angeles pour enquêter sur la mort de sa fille dans un étrange accident de la route. Il n’a très vite qu’un seul désir : se venger et traquer l’homme à l’origine de ce décès suspect.
La réalisation (et surtout le montage, non-linéaire, presque anarchique) surprennent au début : les images se suivent de manière très hachée, le plus souvent en juxtaposant à ce que l’on voit des dialogues de scènes à venir, ce qui déstabilise le spectateur mais retient instantanément son attention.
C’est une manière très originale de raconter cette histoire et de nous embarquer ; le montage de Sarah Flack renvoie au mouvement du souvenir, au courant de pensée de Wilson, à la façon dont passé et présent interagissent, se croisent dans sa mémoire (la structure du scénario se construit sur des flashbacks entrecoupés de retours au temps présent).
Le film a l’aspect d’un mille-feuille : les scènes se superposent, mais avec une logique réelle, une unité et une prétention cinématographique très intéressantes. La stylisation de l’œuvre n’est pas un frein à son efficacité, au contraire: on comprend, en deux ou trois plans successifs, le parcours des personnages, leur quotidien (l’introduction de la répétitrice jouée par Lesley-Ann Warren illustre très bien cette idée : c’est une comédienne qui a du voir ses ambitions à la baisse et qui s’accroche à un milieu auquel elle tente d’appartenir tant bien que mal).
Soderbergh a inséré dans "L’Anglais" des extraits du premier film réalisé par Ken Loach en 1967 ("Pas de larmes pour Joy"), où l’on peut voir un Terence Stamp jeune. Ce procédé très malin renforce la connaissance que l’on a du passé de Wilson, de ses origines, de ses blessures ; la vision que l’on a de cet homme est nourrie par cette référence à une époque très particulière. "L’anglais" cherche à ressembler à un film expérimental et "arty" des années 60 (le choix de deux acteurs – Stamp et Peter Fonda- représentatifs de cette époque, chacun à leur manière, n’est pas anodin), et il y réussit plutôt bien.
Stamp livre une composition très personnelle et nuancée; il est difficile de ne pas éclater de rire (et frissonner de peur, au même moment) quand il approche son visage de la caméra, après une tuerie particulièrement sanglante dont il est à l’origine, pour hurler : « You tell him. Tell him I’m coming. Tell him I’m FUCKING COMING ! », en signe d’avertissement. A Los Angeles, Wilson est un expatrié qui détonne par son langage (le "cockney rhyming slang", un argot anglais populaire mâtiné d’un accent à couper au couteau) et par sa volonté de fer. Sa détermination trace sa route au cœur de la ville. Pour paraphraser des commentaires dont Wilson fait l'objet dans le film: « on ne comprend rien à ce que ce mec raconte, mais on voit ce qu'il veut dire ».
Le défaut de "L'Anglais" est de ne pas nous donner autant de plaisir qu’on en aurait envie : sa durée (1h25), et le manque de développement de certains personnages secondaires le rendraient presque anecdotique s’il n’était pas aussi maîtrisé.