On considère généralement ce film comme une œuvre mineure du fait qu’il a été vu, à sa sortie, comme une sorte de décalque de L’Exorciste de William Friedkin, tenant d’attirer le même succès à partir de la même recette. Ce jugement paraît toutefois réducteur (même s’il vaut quand même mieux éviter de visionner les deux films à la suite) et l’atmosphère est tout à fait différente que dans le film de Friedkin, moins horrifiante certes, mais plus européenne, moins moderne, les villas américaines ayant avantageusement cédé la place à des palazzi baroques au cœur d’une Rome chargée d’histoire. Plus d’enfant à exorciser ici, mais une femme, Ippolita, tourmentée par son complexe d’Electre et ensemencée par le démon suite à un miracle catholique qui, n’ayant pas eu lieu, a fini par se retourner en possession diabolique.


Ippolita est paralysée des jambes suite à un accident de voiture survenu durant son enfance et au cours duquel sa mère a perdu la vie. Réduite à ne pouvoir se déplacer sans sa canne ou sa chaise roulante, elle vit dans une grande maison baroque avec son frère Filippo, toujours aux petits soins avec elle, et son père avec laquelle elle se montre très possessive, haïssant cordialement Gretel, une étudiante allemande dont il a fait sa maîtresse et qui vit avec eux. Son père l’emmène un jour, à l’occasion des fêtes de Pâques, devant une statue de la Vierge réputée faire des miracles, dans le vain espoir de lui faire retrouver l’usage de ses jambes. Antonio, un homme en proie à la démence, que ses amis ont amené là en espérant eux aussi un miracle, refuse obstinément de toucher la Vierge, s’enfuit de la chapelle et gravit un rocher d’où il se jette et s’écrase au sol. Ippolita ramasse discrètement la reproduction d’un Christ au sacré-cœur qu’il portait en pendentif autour de cou et lorsqu’elle l’observe, revenue chez elle, elle voit alors l’image d’un Christ grimaçant et obscène qui l’effraie. C’est alors que commence son calvaire : apparition d’un crapaud égorgé parmi les hosties au moment où son oncle évêque donne une messe pour le salut de son âme, cauchemars étranges, convulsions, dégradation physique, phénomènes ectoplasmiques dans la maison (orgue jouant tout seul, meubles projetés contre les murs), jusqu’à l’exorcisme final. Entretemps, la jeune femme sème le trouble autour d’elle, brisant le portrait de son père, couchant avec son frère, assassinant un jeune touriste allemand qu’elle séduit lors d’une visite de ruines romaines avant de lui tordre le cou. Il faudra le concours d’un psychiatre spécialisé dans l’hypnose régressive, d’un rebouteux, d’un évêque et d’un prêtre pour en venir à bout et comprendre qu’Ippolita n’est autre que la réincarnation d’une sorcière jadis condamnée à mort par l’Inquisition et que la diable a élue pour porter en elle l’Antéchrist dans cette nouvelle vie.


Si on ne peut pas parler de chef-d’œuvre, on a tout de même là une des réussites les plus abouties de cette vague de films italiens plus ou moins directement inspirés de L’Exorciste. Dès la première scène, le ton du surnaturel inquiétant est donné avec cette procession pascale dans les rues de Rome, aboutissant à cette chapelle où, dans un montage syncopé et assez entêtant, se pressent les malades et les convulsionnaires dans une cohue faite de prières et de cris de détresse. Autour de la Vierge rôde déjà un serpent, symbole de diablerie s’il en est. Si Martino n’est pas resté comme un grand nom de l’histoire du cinéma, on ne peut pas en dire autant de celui qui assure la photographie du film et qui n’est autre que Joe d’Amato. Et L’Antéchrist est, sous cet aspect-là, tout à fait appréciable. De manière générale, il y a une vraie recherche visuelle dans la construction de l’esthétique fantastique de certaines scènes : le bureau de l’évêque, tapissé de rouge vif, avec son lustre et son canapé de cuir noir (un décor qui, toutes proportions gardées, a quelque chose d’assez kubrickien) ; les tons orangés chaleureux évoquant la lumière d’un coucher de soleil lorsqu’Ippolita, nue, se caresse en rêvant, étendue sur son lit au-dessus duquel les peintures murales se sont transformées en ciel et dont les draps laissent voir la marque d’un démon invisible ; le couloir, rouge lui aussi, du palazzo, orné de curieux bustes en pierre ; le Colisée sous la pluie battante d’une nuit sans lune… La scène la plus marquante reste toutefois celle d’un rêve fait par Ippolita et où, sur une colline brumeuse et parmi des fougères et des corps alanguis, elle s’accouple avec le diable après l’avoir gratifié d’un anulingus et mangé la tête d’un crapaud. Un petit air de nuit de Walpurgis qui n’est pas sans faire penser au Häxan de Benjamin Christensen (Danemark-Suède, 1922).


Le spectateur sarcastique sera bien sûr tenté de ricaner devant certains effets spéciaux parfois franchement maladroits – jeux répétitifs et assez grossiers sur les effets de transparence, lévitations presque comiques, bras étrangleur se déplaçant tout seul dans l’air – mais ce côté bricolé ne nuit pas outre mesure à l’ensemble et reste malgré tout dans le ton, contrebalancé par des passages beaucoup plus réussis comme la scène du repas où les rideaux, les meubles et les tableaux s’agitent en tous sens ou celles dans lesquelles nous assistons au procès de la sorcière, dans un décor très théâtralisé qui rappelle davantage la science-fiction que le Moyen-Âge. Le témoignage d’une certaine époque du cinéma italien, aux confluents de l’épouvante et du giallo.

David_L_Epée
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le 25 oct. 2016

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