Dans un petit village du sud-est de la France, Anna (Galatea Bellugi), une jeune fille de 18 ans affirme que la Vierge Marie lui est apparue et qu’elle lui a délivré un message. Depuis, le coin attire du monde, au point qu’on craint des troubles pour l’ordre public. Réaction du Vatican : mise en place d’une enquête canonique et proposition à Jacques Mayano (Vincent Lindon) d’en faire partie.


On sent bien dans ce film le refus du (trop) spectaculaire, en adéquation avec l’attitude toute d’humilité très chrétienne d’Anna. Ce qui n’empêche pas Xavier Giannoli d’évoquer la richesse de l’Eglise lors du passage de Jacques au Vatican (remarque lucide de son interlocuteur). Mais c’est pour le renvoyer sur le terrain, certes tous frais payés, mais dans un coin perdu où s’il ne vivra pas dans le dénuement, ce ne sera pas non plus le luxe. On remarque son accueil par une jeune femme qui se comporte comme s’il arrivait à un festival (de cinéma par exemple).


Au chapitre du refus du spectaculaire, on note que si miracle il y a, le film se contente du témoignage d’Anna, plutôt vague et timide, puis du souvenir d’un cri féminin entendu par deux paysans. Les détracteurs du cinéma français en profiteront pour enfoncer le clou. Aucun tape-à-l’œil non plus dans la mise en scène, les couleurs où la mise en images de la vie d’Anna. Tout cela va dans le sens de la foi chrétienne affichée par la jeune fille.


Donner à Vincent Lindon le rôle de Jacques colle bien avec son personnage de cartésien qui cherche à comprendre, à savoir qui et quoi il peut croire. Il joue un peu au Saint Thomas qui ne croit que ce qu’il voit. Mais Vincent Lindon ne surprend pas vraiment. Disons que c’est du solide pour le rôle principal. La jeune Galatea Bellugi assure bien elle aussi dans un rôle où son jeune âge et son regard vont dans le sens de l’innocence, de la transparence. Mais à mon sens, le personnage le plus intéressant est celui du père Borrodine où le physique de Patrick d’Assunçao fait merveille. Si son attitude de rempart protecteur vis-à-vis d’Anna est irréfutable, on se demande quelles sont ses motivations profondes. Interdit de dire la messe dans « sa » propre église (il ne répond plus à sa hiérarchie), il se comporte comme s’il avait décidé de lui-même qu’Anna est une sainte qu’il doit protéger et faire reconnaître, quel qu’en soit le prix (sous la pression populaire, l’Église tolère le culte de certaines personnalités, sans pour autant leur accorder le statut de saint(e)). Le père Borrodine apparait ainsi en public vêtu de ses habits sacerdotaux, lors d’une cérémonie télévisée où Anna défile au milieu de la foule alors que l’ambiance devient houleuse.


Anna ? C'est une jeune fille, presque encore une adolescente au regard très clair qui joue la carte de la modestie (à l’image du message qu’elle aurait reçu de la Vierge Marie), de la foi (elle se voit un futur de nonne). Qui s'intéresse vraiment à elle à part le père Borrodine et Jacques ? Elle voit en Jacques quelqu'un qui la regarde d'un œil différent. Bien qu'il ait un gros doute, Jacques cherche à comprendre (jusqu’à s’interroger sur le passé de la jeune fille). Un peu dépassée par les événements, Anna est irrésistiblement tentée de lui faire confiance. Une confiance qu’elle n’accorde pas facilement, car elle affirme avoir observé des apparitions dès l'âge de 15 ans, mais ne pas avoir osé en parler avant de sentir qu'elle pouvait se confier au père Borrodine.


Si les motivations du père Borrodine sont un peu floues, que dire de celles de Jacques ? Pas vraiment croyant et de toute façon non pratiquant, pourquoi accepte-t-il d’intégrer la commission d’enquête canonique ? Probablement pour tenter d’oublier la perte de son meilleur ami (son binôme photographe, avec qui il pratiquait son métier de journaliste d’investigation aux quatre coins de la planète, si possible aux endroits chauds). Un métier difficile qu’il a choisi par conviction (présenter la dure réalité au public), ou bien par orgueil (moi je sais, parce que je suis là où il se passe des horreurs que je montre et commente) ou même pour échapper à une ambiance familiale trop banale à son goût ?


Jacques appartient donc à l’univers des médias. Dans cette affaire, le réalisateur ne pouvait pas se limiter à cet observateur supposé impartial. D’ailleurs, Jacques ne se contente pas de sa position irréaliste d’anthropologue invisible. Bien entendu, dès qu’il se passe quelque chose, les médias sont là et ils ne font pas qu’observer, rendre compte. Pour eux, il faut toujours du nouveau, pour entretenir le suspense, etc. Aspect mercantile (aubaine pour les autochtones) qui peut devenir malsain, car on ne sait pas jusqu’où les uns et les autres peuvent aller.


Xavier Giannoli aborde un sujet aux nombreuses ramifications. Il pose une situation intéressante qui lui permet d’aller assez loin dans la confrontation entre Anna et Jacques. Malheureusement, il ouvre de nombreuses pistes qui mériteraient une exploration plus approfondie. Peut-être en aborde-t-il un peu trop. Ainsi, on ne comprend pas trop pourquoi Jacques est appelé pour intégrer la commission chargée d’examiner le cas d’Anna. L'essentiel du film montre Jacques en train d'enquêter sur le terrain, comme si la commission c'était lui. Déjà, on peut considérer comme un deus ex machina le fait qu'il prenne la direction de cette commission. Une commission dont les membres semblent un peu figés dans leurs convictions et façon de procéder, ce qui peut être vu comme une métaphore de ce que fait l’Église catholique (elle évolue, mais probablement toujours avec un train de retard). Un des rares moments où on voit vraiment la commission au travail, c'est quand Anna vient se présenter devant elle pour témoigner. L’un des membres annonce aussi la venue d’un exorciste (procédure classique dit-il), mais on ne saura jamais ni s’il est venu, ni s’il a vu Anna, ni s’il a donné un verdict. Probable que Xavier Giannoli préfère éviter toute comparaison avec le film de William Friedkin, mais il ne peut pas empêcher le rapprochement.


Avec un sujet original (scénario qu’il cosigne avec Marcia Romano et Jacques Fieschi), Xavier Giannoli nous épargne le sempiternel biopic en abordant une thématique personnelle, l’exploration de la part entre le vrai et le faux, la vérité et l'affabulation, etc. Mais, dans un film long (2h20), il reste trop vague sur bien des points et c’est bien dommage. A son crédit, une conclusion inattendue qui renvoie aussi bien Jacques que le spectateur à son point de départ : que s’est-il passé exactement et que croire ? Ma foi, ce n’est déjà pas si mal.

Electron
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le 6 mars 2018

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