Tueurs médiocres
S'il est évident que L'appât n'est sans doute pas le film de Tavernier le plus inspiré, il arrive malgré tout à capter la médiocrité des assassins. C'est une histoire toute bête, ça bande sur...
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le 16 juil. 2022
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En surface, ce film a tout pour déplaire.
On pourrait y voir une première lecture facile d'un fait divers par un vieux réac rempli de clichés sur la jeunesse et l'influence de la culture américaine sur nos petits chérubins innocents.
C'est en tout cas ce que nous montre la caméra de Bertrand Tavernier pendant l'intégralité du film, nourrissant cette idée toutes les 5 minutes avec des clins d’œil lourdingues et des réflexions de PMU. L'argent et la violence : des répliques de Scarface, aux posters et VHS de blockbusters américains omniprésents, des phrases de type "c'est français donc c'est nul", à l'évocation de rêves de vivre aux États-Unis, des clips MTV aux allusions à Bernard Tapie dès qu'on allume la télé...
Étonnant par ailleurs de n'y voir que très peu de contre-champs, presque aucun contre-exemple venant prouver que cette génération n'est pas perdue, que tous les jeunes ne sont pas dans cette mentalité, que cette bande-là est hors du lot.
Celle-ci nous est bien introduite. En effet, si le scénario se complait dans son précepte réactionnaire, la mise en scène le suit avec sophistication, et, souvent, avec humour : les deux garçons sont tellement obnubilés par le charisme de Pacino à la télévision qu'ils ignorent totalement le corps nu et désirable de leur amie à leurs côtés, cherchant pourtant à attirer leur attention. Tout est dit dans cette scène, on y voit la direction que prend le film, et on fait connaissance avec cette caméra qui usera de nombreuses fois de jeux de miroir et de plans-séquences d'intérieur.
On ne peut pas y échapper, la réalisation dynamique de Tavernier permet de survoler l'apparente binarité de l'histoire et d'aller au-delà de ce qui aurait pu être un téléfilm bête et méchant pour vieux croutons. Pas un plan sans mouvement, sans une idée pour montrer que l'action est plus complexe que ça. La caméra suit de près ces personnages dont nous pourrions être repoussés par l'antipathie : nous sommes avec eux, nous les comprenons presque, nous sommes rassurés de les voir s'en sortir, nous sommes ravis de les voir triompher.
Ce qui accroche le spectateur à ces curieux personnages, ce sont aussi les dialogues aux petits oignons. En plus de toute la fraîcheur déployée par Marie Gillain, excellente et virevoltante en Stéphanie, on y trouve une énergie et un humour qui, mariés à la justesse de l'écriture et de l'interprétation, nous offre un portrait affirmé et très caractérisé qui vient, malgré tout, appuyer la vraisemblance du récit et capter la fascination du spectateur.
Aussi, le personnage de Clotilde Courau sert de bascule dans l'histoire : elle est cette amie (issue de la même jeunesse dépeinte dans le film) qui va commencer par les suivre dans leur entreprise maléfique avant de s'arrêter, dans un sursaut de bon sens, prouvant ici la détermination maladive des personnages principaux qui vont s'entrainer eux-mêmes dans les bas fonds. C'est à ce moment précis que la description sympathique des anti-héros masculins va se transformer en portrait d'auto-bourreau à la limite de la folie. C'est là que monte la violence, que nous sommes désormais en mesure de recevoir. Stéphanie, elle, n'aura fait ça que par amour.
En surface, ce film a tout pour déplaire.
On pourrait y voir une première lecture facile d'un fait divers par un vieux réac rempli de clichés sur la jeunesse et l'influence de la culture américaine sur nos petits chérubins innocents.
Il s'agit en fait d'une détresse amoureuse, une jeune femme perdue dans la cruauté du monde qui l'entoure, qui, dans un besoin de s'émanciper du contre-modèle familial, se réfugie dans une relation toxique avec un jeune homme qui jouit de sa liberté et de ses ambitions. Elle y aura vu un grand frère de substitution lui permettant de rêver. Elle aura caressé ce rêve du bout des doigts, au détriment de toute morale dont elle se fout éperdument. C'était lui l'appât. Elle aurait pu tomber dans son piège. Son innocence et son honnêteté l'ont sauvée. Pour cette fois.
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Créée
le 9 août 2021
Critique lue 84 fois
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