Dans un cas comme dans l'autre, L'Apprentie Sorcière était voué à n'être qu'une alternative à Mary Poppins. L'idée-même de le produire n'a été lancée par Walt Disney que dans le but de narguer Pamela Travers qui refusait de lui céder les droits sur les livres de la nounou au parapluie. Une fois qu'un compromis fût trouvé, le projet resta dans les tiroirs avant d'être repris en charge en 1969 après que la compagnie ait perdu son fondateur. Il mérite ceci dit d'être défendu par rapport à une critique trop souvent répétée, le fait que les studios se reposaient trop sur leurs acquis alors que cette tendance avait déjà commencé sous l'ère de l'Oncle Walt où plusieurs équipes étaient envoyées sur des commandes du même ADN dès que la recette s'avérait fructueuse.
Mais personne ne se voilera la face, tout dans L'Apprentie Sorcière est pensé et réfléchi pour avoir un arrière-goût de Mary Poppins. Si nous n'avons pas affaire à une redite et que des éléments se distinguent, les faux-airs s'accumulent, dus à une équipe technique quasi-identique (réalisateur, scénaristes, compositeurs, chef décorateur etc...) et à une entreprise qui se creuse les méninges pour savoir comment rebondir sans son créateur.
Quiconque voulant juger le produit final sans comparatif sera bien embêté mais au-delà de ses ressemblances, il arrive que L'Apprentie Sorcière trouve sa voie quand il s'amuse à aller dans le sens opposé, son héroïne par exemple, Églantine Price, échouant lamentablement lors de son premier vol et les enfants qu'elle recueille chez elle n'étant pas étonnés de voir une ensorceleuse à califourchon sur son balais car ce serait selon eux "ce que toutes les sorcières font".
Les répliques sont particulièrement bien délivrées par les deux stars du film, Angela Lansbury et David Tomlinson. L'une so british apporte du tact et de la tenue, l'autre est son parfait contraire, escroc attachant qui donne un équilibre délicieux à cette collaboration. Les gamins ne peuvent pas s'en vanter et peinent à exister en tant que personnages (on en oublie qu'ils sont orphelins), servant juste de projection pour le jeune public bien qu'ils ne soient pas agaçants.
L'un des plus gros reproches à faire au scénario est qu'il trop tortueux. Tout comme Mary Poppins, il nous transporte de lieu fantaisiste en lieu fantaisiste mais lie plus difficilement les bouts, les transitions étant trop brèves. Ceci peut s'expliquer par le remontage du film qui a vu plus d'une vingtaine de minutes supprimée, la séquence de Portobello Road ou des rôles secondaires comme le libraire en pâtissent. Heureusement, de très chouettes scènes ont survécu tel un hilarant match de football entre animaux (dont la dynamique visuelle a probablement inspiré le futur Robin des Bois) et des échanges mignons entre les acteurs principaux.
Reste que toute cette aventure sert un but très étrangement introduit, la fin de la Seconde Guerre Mondiale, et qui s'achèvera sur un semi-échec. On se demande alors quel était le focus de l'histoire puisque les vies privées des personnages ont été mises à l'écart à l'exception d'une seule. Et demeure bien sûr cette utilisation maladroite (pour ne pas dire gênante) des Nazis lors du dernier acte où les soldats sont ridiculisés. La diabolisation a pu être évitée mais la timidité avec laquelle Disney présentent le parti (le colonel qui regretterait presque d'enfermer des civils, le non-sens de la mission) dérange.
Taxé de mauvaise copie, L'Apprentie Sorcière ne satisfait pas grand monde en 1971, et encore moins le conseil d'administration qui, déçu par les résultats financiers faibles, ralentit la cadence du nombre de productions et ne souhaite plus s'impliquer dans des projets aussi chers. Le film de Robert Stevenson, malgré ses défauts, garde de précieux atouts, notamment le charme de son casting, de sympathiques trouvailles et ses compositions musicales soignées.