Il y a dans l’Argent une vraie force monstrueuse parfaitement incarnée par un Pierre Alcover au visage en forme de poire blête, le délire de la Bourse à plein régime est très bien servi par des mouvements de caméra impressionnant et l’ensemble dégage un petit quelque chose d’expérimental outrancier, comme si la démesure du projet comme du sujet enfonçait automatiquement toutes les barrières du raisonnable dans un foisonnement foutraque qui n’est pas sans rappeler les plus beaux films du début des années vingt…
Malheureusement, là, nous sommes en 1928, ce qui est bien pratique pour préparer le krach boursier de l’année suivante mais ça rend tous les effets boursoufflés un poil maladroits et amateuristes.
En 1928, c’est l’année où sortent La Foule, L’Ange de la Rue, Le Vent, Cadet d’eau douce, Les mendiants de la vie, La Maison de la rue Troubnaia et j’en passe, le cinéma muet est à son sommet, il a atteint sa maturité, il n’est pas supposé se perdre dans des effets un peu faciles et tâtonnants, Les Rapaces, sur le même sujet de l’avidité le faisait beaucoup mieux et on lui pardonnait plus facilement parce que dans les quatre années qui les séparent se trouve tout un monde, un monde que L’Herbier semble oublier négligemment pour s’en donner à cœur joie dans les effets déjà un peu ringards en oubliant parfois de se concentrer sur son histoire…
L’histoire, pourtant, aurait gagnée à se voir affinée à la machette tant le résultat se présente indigeste et didactique comme une thèse de Zola… Et vu que la pesanteur du fond est quadruplée par celle de la forme, autant dire que le film ne tient pas toutes ses promesses pendant ces trois heures quinze largement redondante…
Et puis, franchement à quoi sert cette terrifiante Brigitte Helm en séductrice improbable ? Pourquoi un traitement judiciaire tellement ubuesque que les bras nous en tombent par millions comme des actions mal cotées ? Pourquoi un « héros » tellement mou qu’on en vient presque à espérer que la très jolie donzelle finisse dans les bras du gros porcin, le salaud presque magnifique qui finirait presque par émouvoir si le personnage avait été mieux travaillé ?
Heureusement qu’elle est là, d’ailleurs, Marie Glory, c’est fou comme elle est délicieuse sous certains angles, sans elle et cette fascinante trogne de poire, la séance aurait pu tourner vinaigre… Et puis il y a Jules Berry, déjà, égal à lui-même, on entend presque sa voix caractéristique malgré le muet, ça fait qu’on pardonne beaucoup, aussi, mais n’empêche, quel gâchis gargantuesque…