Je n’avais pas revu ce film signé Terry GILLIAM depuis sa sortie en salle en 1995, et ce qui m’a immédiatement frappé en revoyant ce monument du film d’anticipation c’est à quel point son postulat résonne avec notre actualité récente, Gilliam y dénonce dans un pamphlet virtuose notre course au consumérisme et les errements d’une science qui à force de jouer aux apprentis sorciers a fini par mener l’humanité à sa perte. Néanmoins sur ce dernier point si d’aucuns peuvent y déceler les preuves ou les indices d’une science faite sans raison, j’y vois au contraire pour ma part le réquisitoire d’une science faite sans la méthodologie nécessaire seule garante de sa réussite d’une part et de notre sécurité d’autre part, l’inverse donc de ce que défendent quelques farfelus désinformateurs que la crise sanitaire n’a que trop mis sous les feux des projecteurs.


Présenté comme un prolongement du film La Jetée (1963) dont il reprend la trame narrative, le film de Terry Gilliam dépeint une société tyrannique où toute liberté a disparu. En 2035 dans un New-York où la nature et la vie sauvage ont retrouvé droit de cité suite à la libération d’un mystérieux virus supposément par un groupuscule d’éco-terroristes appelé « l’armée des 12 singes » qui a décimé les 3/4 de la population humaine, les rares survivants de cette apocalypse ont trouvé refuge dans les égouts et sont désormais organisés en micro-société concentrationnaire qui tente par des voyages dans le temps d’obtenir les réponses à leurs questions et d’empêcher le drame. James Cole, désigné volontaire pour effectuer l’un de ces voyages temporels devra donc repartir en 1996 à quelques jours du début début de l’épidémie afin d’identifier les membres et auteurs de cet « attentat » mais il faudra plusieurs tentatives car malgré les erreurs répétées les élites scientifiques se drapent dans leurs certitudes et multiplient les errements erratiques l’envoyant d’abord en 1990 puis dans les tranchées de la première guerre mondiale. Incarné par Bruce WILLIS, qui délivre ici sans doute l’une de ses plus brillantes prestations et l’une des rares de cette décennie où son personnage n’est pas un héros viril inoxydable, mais un homme pétri de doutes, désorienté, faillible, un pan qu’avait déjà laissé entrevoir son incarnation culte de John McClane dans Piège de cristal (1988). Confronté à une autorité scientifique imposante et glaciale décidant de son sort et de celui de tous les humains survivants qui cherche à déterminer dans toutes les époques s’il est fou ou sain d’esprit, décrétant la vérité au travers d’une tyrannie qui réprime les pulsions humaines.


Tout comme dans son chef d’oeuvre Brazil (1985) sorti dix ans plus tôt, Terry Gilliam met en coupe réglée une société déshumanisée guidée par la course à la technologie, et au consumérisme soutenu une fois encore par une science qui n’a rien de lisse ni de rationnelle, mais qui d’implacable se révèle foutraque, dysfonctionnelle et chaotique, ainsi l’esthétique steampunk, le fatras des tubes, câbles, engrenages et autres écrans disposés comme autant de preuves du chaos engendré par l’idéologie enracinée au plus profond d’une société qui se meurt et dont la fuite en avant n’est que le glas qui sonnera sa fin. La fameuse épidémie n’en étant finalement que l’apogée.

Dans le futur selon Giliam science et technologie se signalent d’abord par leurs défaillances et leurs défenseurs par leur inaptitude à se remettre en question et malgré les preuves évidentes récoltées dans le passé à changer de paradigme y compris une fois la catastrophe arrivée, dès lors on ne peut au final faire confiance à l’hubris de l’homme, son désir irrépressible de puissance et de domination orgueilleuse et vaniteuse de la nature, qui comme chez les grecs anciens entrainait de facto la punition divine, entrainera sa fin par le truchement de ce virus résultant tout à la fois de l’inconsistance des hommes et de sa prétention.


Si l’on excepte ses oeuvres collective avec les « Monthy Pythons » la critique de la technologie est un fil rouge dans le cinéma de Terry Gilliam, et l’on peut dès lors s’étonner qu’une telle vision nihiliste et profondément désabusée de la société humaine puisse émerger de l’esprit d’un homme reconnu surtout, et à juste titre, pour son humour. Mais que ce soit dans Time Bandits (1980) où c’était la télévision qui déjà venait s’opposer à l’imaginaire et aux rêves, avec « Brazil » c’est la technologie d’une bureaucratie poussée jusqu’à l’absurde qui était pointée, dans Les Aventures du baron de Münchausen (1988) l’époque des lumières est raillée comme engendrant guerre et destructions, loin des progrès auxquels elle est habituellement associée, dans Fisher King (1991) c’est l’égoïsme que génère la société moderne qui est visée par le truchement d’un animateur star de radio dont le conseil peu avisé déclenchera une tuerie et quand ce n’est pas la course effrénée à la technologie qu’il dénonce c’est la société de consommation. Exemple Las Vegas Parano (1998) adapté du roman de l’écrivain, journaliste gonzo Hunter S. Thompson où la ville du Nevada devient la métaphore d’un monde de consommation à outrance et de divertissement à tous prix.


La technologie devenant l’alliée, la complice de cette société de consommation, idée qui sera incarnée ici par le personnage de Jeffrey, en passant l’un de mes rôles préférés de Brad PITT qui voisine tant dans l’intensité que dans le message avec celui de Tyler Durden dans un autre monument du pamphlet anti-consumériste le cultissime Fight Club (1999). Ici ce succulent personnage qui au final n’est peut-être pas le plus fou du récit formule cette idée par cette formule « Ils n’ont plus besoin de nous. Tout est automatisé. On est des consommateurs (…) et si tu n’achètes pas, tu es un malade mental ». Le grand magasin en pleine activité puis livré à la végétation et aux animaux sauvages parachevant de symboliser ce monde consumériste qui court à sa perte.


Il est un autre film d’anticipation que j’ai revu récemment et qui malgré le temps qui passe résonne plus que jamais dans notre société meurtrie et à l’agonie et dont il faudra que je m’attèle prochainement à rédiger mon analyse, c’est Soleil vert (1973) mais "l'armée des douze singes" en plus des thèmes abordés se distingue par la virtuosité de sa réalisation, son sens du rythme et du découpage, la précision de ses cadres toujours signifiants et son indémodable esthétique.


A la fois glaçant tant la vision de Gilliam apparait aujourd’hui comme prophétique et à la fois porteur d’espoir si l’on se prend à imaginer qu’une prise de conscience empêchera l’humanité de confirmer de biens tristes augures.

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le 4 août 2022

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