En voilà une excellente réussite ! Le pari était pourtant risqué, à double tranchant : sans finesse, la réalisation aurait vite poussé le film vers un drame lourdaud au pathos balourd. Mais fort heureusement, Carine Tardieu sait y faire et transforme ce drame en un film d’une infinie sensibilité, une histoire subtile et touchante, très loin des stéréotypes traditionnels du genre.
L’Attachement est adapté du roman L’intimité, écrit par Alice Ferney et publié tout récemment, en 2020. En interview, la réalisatrice explique la genèse du projet : « Je l’avais lu une première fois avec beaucoup d’émotion et un intérêt certain, notamment pour le personnage de Sandra, mais celui-ci s’effaçait dans la seconde partie du roman au profit d’un autre personnage pour lequel j’avais beaucoup moins d’attrait. Mais par hasard, quelques mois plus tard, Fanny Ardant, de passage à la maison et trouvant le bouquin sur mon bureau, me dit qu’elle l’a lu et qu’elle pense que cette histoire est faite pour moi... ». Carine Tardieu s’attaque alors à l’écriture d’un scénario, mais en gardant le personnage de Sandra, la libraire féministe, au centre de l’histoire, comme un fil rouge de l’intrigue.
Pour incarner Sandra, Carine Tardieu choisit Valéria Bruni-Tedeschi. Un choix qui surprend au premier abord, car l’actrice (et aussi réalisatrice) que l’on connaît pour son naturel expansif et totalement extraverti (La Fracture, Les Estivants, Un château en Italie) trouve ici un rôle à contre-emploi, plus posé, plus réfléchi. Son personnage vit seul, sans compagnon : elle est renfermée sur elle-même, indépendante, au plus près de ses livres.
On retrouve un peu la même démarche de contre-emploi dans le choix de Pio Marmaï, éternel grand enfant du cinéma français, en Alex. Son personnage, voisin de palier de Sandra, est amené par la force des choses à prendre des responsabilités et à endosser un rôle de chef de famille adulte et réfléchi.
Nous n’en dévoilerons pas trop côté scénario pour ne pas gâcher la grande tendresse du film. Car à mon sens, c’est vraiment un film qu’il faut découvrir en essayant d’en avoir le moins lu et vu possible. Nous dirons simplement que la naissance de la petite Lucille (dont l’âge va chapitrer le film et donner des indications temporelles au récit, de sa naissance jusqu’à ses 18 mois) et les événements qui s’en suivent poussent nos deux personnages à se rapprocher, sous l’impulsion notamment du petit Eliott (joué par César Botti, 5 ans et demi aux moments des essais de casting, et absolument formidable dans le film) dont Alex a la responsabilité, et qui va prendre Sandra d’affection.
Dans les rôles secondaires, on retrouve également la nouvelle coqueluche du cinéma français, Raphaël Quenard, qui s’est pour l’occasion laissé pousser la moustache, mais qu’on reconnait entre tous par son phrasé inimitable.
L’Attachement n’est pas qu’un succès d’estime : le nouveau film de Carine Tardieu signe de loin le meilleur démarrage de la réalisatrice, devant Otez-moi d’un doute en 2017 et Du vent dans mes mollets en 2012. Le film, qui a été présenté à la Mostra de Venise dans la compétition Orizzonti (l’équivalent du Certain Regard cannois) l’année dernière, a toutes les chances de se retrouver dans les nommés des Césars l’année prochaine.
Ce drame est d’une justesse rare, et a su éviter avec brio les poncifs du genre, le gnangnan prévisible, pour se concentrer sur l’intime, la famille. Tardieu explique : « je voulais que la caméra s’intègre à la famille, qu’elle fasse le lien, qu’en référence au titre, elle ne soit pas détachée des personnages et bien entendu, qu’elle ne contraigne aucunement les acteurs ». Emouvant et tendre : allez-y !