Xavier, étudiant français, décide de partir faire ses études à Barcelone via le programme Erasmus. Après avoir été hébergé chez un couple français rencontré dans l'avion (Anne-Sophie et Jean-Michel), il s'installe en colocation avec des étudiants étrangers, tous d'origine européenne.
C'est à travers cette auberge espagnole que se crée une vision de l'Europe, essentiellement culturelle. Nous verrons comment le film s'interroge sur l'Europe, comment il la conçoit, ce qui la caractérise.


L'espace européen.

L'action se déroule en Europe, d'abord à Paris mais par la suite essentiellement à Barcelone. Le choix de cette ville est plutôt judicieux car elle est à l'image de cette Europe que Klapisch souhaite nous montrer : cosmopolite, effervescente et culturelle. Barcelone est une ville de l'échange, une ville « ouverte » et c'est ainsi une bonne représentation de l'Europe à elle seule.
Le titre même d' « auberge espagnole » nous réfère à deux réalités : une concrète, l'appartement que partagent les étudiants en Espagne, et une métaphorique dans le sens de l'expression « auberge espagnole » signifiant un endroit où l'on trouve ce que l'on apporte. L'appartement se présente aussi, tout comme Barcelone, comme une micro-Europe où se côtoient plusieurs nationalités européennes qui apportent chacune leur contribution à l'Europe.
Le téléphone au sein de l'appartement est un objet sans identité, une passerelle entre cette micro-Europe et l'Europe toute entière. Elle rattache la représentation à la réalité à laquelle elle renvoie. Chaque personnage peut ainsi invoquer son pays tout entier et peut conserver son enracinement culturel. C'est un lieu de l'intimité, d'échange avec son propre pays en même temps qu'une sorte de plaque tournante des nationalités.
Pas besoin de filmer toute l'Europe pour parler de l'Europe, Klapisch réduit l'espace. Il ne s'agit pas tant de l'Europe géographique dont il est question dans ce film que de l'Europe culturelle confrontant des individus d'origines différentes.
L'Europe est un lieu de l'échange comme nous le montre la première image du film : celle d'un avion Air France qui décolle. Notons aussi que Xavier part avec Erasmus qui est un programme d'échange interuniversitaire.
Ainsi, nous voyons très vite dans le film se présenter une confrontation des cultures, une certaine hétérogénéité culturelle.


L'hétérogénéité.

Citation de Klapisch à propos du film : « Tout ce côté discontinu, dépareillé et polyphonique, c'est avant tout une source de comédie. Le partage d'un appartement avec des gens qui parlent des langues différentes, c'est forcément amusant mais ce ne sont pas que les langues qui se mélangent (...) C'est une matière scénaristique extraordinaire! C'est à la fois une source de comédie, de réflexion et de questionnement sur l'Europe et plus globalement sur la différence. »
L'auberge espagnole est un film européen joué par des acteurs de diverses nationalités européennes comme le montre le générique associant chaque acteur au drapeau de son pays d'origine. Chaque acteur joue un personnage de la même nationalité que lui-même. L'image du générique nous suggère aussi la pluralité. L'Europe est morcelée comme cette mosaïque de rectangles. Un procédé similaire de morcellement de l'image est parfois utilisé pendant le film, montrant simultanément les actions de deux personnages différents. La scène du dialogue au sujet du catalan nous explique bien l'idée de diversité européenne : on peut être espagnol tout étant catalan, comme on peut très bien être français tout en étant européen, il n'existe pas une seule identité européenne.
Le frigidaire symbolise bien cette diversité, divisé en compartiments pour chaque colocataire qui peut ainsi y déposer sa propre nourriture, donc ses propres habitudes et ainsi sa propre culture. Les cultures se touchent, se juxtaposent et cohabitent ensemble en gardant leurs spécificités propres.
Klapisch joue sur les stéréotypes relatifs aux nationalités pour renforcer cette idée. Ainsi, Wendy, l'anglaise, aime le thé et en propose souvent, Xavier le français est râleur, Alessandro, l'italien, est bordélique, Tobias, l'allemand, est ordonné... Lors de la conversation à propos du catalan, la France est perçue à travers plusieurs éléments culturels devenus symboles : Astérix, le fromage ; il en va de même pour l'Espagne avec le flamenco et Dali notamment.
La langue est importante pour représenter chaque pays. Xavier se sent d'abord davantage proche des gens qui parlent sa propre langue comme le couple français venu en même temps que lui. La langue est une question d'identité, on le comprend avec l'enjeu du catalan parlé dans un cours à la place du castillan, Barcelone se situant en Catalogne. Cette spécificité langagière semble plus locale et amuse les étrangers alors qu'il s'agit là d'un réel enjeu. La barrière des langues semble d'abord empêcher une réelle union, semant la confusion dans la compréhension, comme par exemple lors de la scène où la mère de Xavier parle à Wendy au téléphone et demande si celui-ci est à la « fac » et que cette dernière ne comprend que le mot « fuck ».
Toute cette diversité crée d'abord un certain vertige chez Xavier. On le voit perdu, privé de repères quand il arrive à Barcelone. Tout lui est étranger. Il est loin de son pays. Il ne se sent pas encore chez lui. Il a peur du bordel, de la tonne de papiers à remplir pour partir en Espagne, il est perdu dans les langues. Il aimerait vivre dans un monde plus simple comme celui du livre pour enfants Martine. Cette diversité va cependant petit à petit créer sa personnalité en même temps qu'elle crée l'Europe.


L'identité européenne.

L'Europe se crée donc sur la multiplicité, elle est une colocation. Elle unit des nationalités différentes. Cependant, il est possible de relever des points communs entre ces colocataires, de souligner ce qui les rapproche pour ainsi définir une identité européenne.
Jacques Lévy, géographe, dit à propos de ce film, dans la revue Espaces-Temps, édition du 5 mars 2003 : « Ce qui réunit ces étudiants, c'est une certaine manière de s'approprier le nouveau, qui n'est pas inventé mais découvert, car il était déjà là. »
L'Europe se crée dans la gestion des différences, dans une organisation de cette « auberge espagnole ». Chacun a sa place et sa fonction au sein de cette organisation.
Au fil de l'histoire, une réelle solidarité européenne s'installe. Par exemple, quand le propriétaire vient leur rendre visite, c'est tout le monde qui s'active et s'unit pour rendre l'appartement présentable, quand le petit ami de Wendy, Alistair, s'apprête à venir la voir alors qu'elle est au lit avec un autre homme, tout le monde s'unit pour le retarder et ainsi aider Wendy. Les colocataires forment un réel groupe de personnes unies par un lien d'amitié. C'est un peu l'image de l'Union européenne qui ne se présente pas comme un pouvoir fort exercé sur les pays qui la composent mais qui, comme son nom l'indique, est une union.
Pour se comprendre, les différents personnages habitant l'auberge espagnole communiquent d'abord en anglais, lors de la première rencontre avec Xavier. Ils maitrisent donc tous cette langue qui se présente comme langue maîtresse au sein de la micro-Europe. Elle est plus largement une langue internationale. Puis l'espagnol prend le pas, étant évidemment la langue du pays où se situe l'action. Les personnages ont besoin d'une langue unique pour se comprendre.
Xavier se découvre un moment des goûts musicaux similaires avec Isabelle, la belge. On voit aussi le groupe chanter « No woman no cry » de Bob Marley. L'identité européenne se crée aussi sur le partage de goûts communs, peut-être l'effet d'une mondialisation culturelle pour la chanson de Bob Marley. La bande son du film est européenne. On trouve pendant le générique une chanson espagnole, puis plus loin un morceau de Chopin, pianiste polonais, une chanson de Daft Punk, groupe français, et de Radiohead, groupe de rock anglais. Les trois derniers morceaux cités pouvant être un socle culturel commun entre les différents pays européens, car ayant une renommée internationale.
L'Europe a une monnaie commune, comme le suggère une propriétaire souhaitant louer son appartement à Xavier, qui lui annonce d'abord le montant en pesetas. La peseta est une trace de l'identité espagnole, c'est l'ancienne monnaie du pays qui circulait jusqu'en 2002. La propriétaire annonce ensuite le montant en euro, l'Espagne passant petit à petit à l'euro à l'époque du film. Donner le montant en euro c'est se chercher une unité de mesure identique, c'est communiquer en tant qu'européen.
Xavier embrasse petit à petit une vision européenne, plus globale que sa vision française, il s'est ouvert à l'Europe et y a pris goût. Il appartient finalement plus à l'Europe qu'à la France où il n'est pas vraiment heureux de rentrer, ayant quitté sa petite amie française et en quelque sorte détruit par là même une attache à son pays. Il sort de son stéréotype de français râleur. Lorsque Anne-Sophie lui dit que Barcelone ressemble au Tiers-Monde, il s'emporte face à une parole pleine de préjugés, encore étriquée.


L'auberge espagnole nous dévoile une représentation d'une Europe culturelle morcelée entre les différents pays qui la composent semblable à une colocation. Ce qui caractérise l'Europe c'est ses nombreuses langues, ses différences culturelles, mais c'est la gestion de ces différences et la solidarité qui crée l'identité européenne tout en préservant les identités nationales. Cette identité européenne appelle aussi des similitudes interculturelles. Etre européen c'est être né dans un pays d'Europe, mais pas seulement, être européen c'est aussi partager avec d'autres européens des goûts similaires, une même monnaie et une vision commune.
King-Jo
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le 5 mai 2011

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