En 1926, Friedrich Wilhelm Murnau, maître du cinéma expressionniste allemand, qui possède déjà un pédigrée certain, émigre aux Etats-Unis à l’invitation de la Fox. Celle-ci lui offre un budget illimité pour son prochain film : en 1927, F.W. Murnau sort « L’Aurore », maintenant considéré comme l’un des plus grands films de l’histoire du cinéma.


L’histoire de « L’Aurore » est simple, et il ne m’appartient pas ici de la raconter ; il faut voir le film, le vivre pour s’en faire une idée. Je me contenterai donc d’un petit résumé du pitch de départ : une femme de la ville, devenue la maîtresse d’un fermier marié et père, tente de le persuader de noyer son épouse pour venir la rejoindre en ville.


Connaître l'histoire du film, ne peut, selon moi, pas vraiment en gâcher le plaisir de visionnage. C'est pourquoi la suite de ma critique contiendra sans doute quelques éléments de "spoil" sur l'histoire : si cela vous dérange, je vous invite à aller voir le film, et à revenir me lire ensuite !


Avant tout autre chose, « L’Aurore » est l’histoire de ce couple, l’histoire d’amour du fermier et de sa femme. Le Mari, interprété brillamment par George O’Brien, un grand escogriffe un peu rustre, sanguin, bouillonnant, véritable image de la force et de la puissance, mais finalement vulnérable, gouverné par ses passions. Son Epouse, elle, est jouée par Janet Gaynor, qui, du haut de son mètre cinquante-deux, capture la lumière, s’accapare l’écran sans partage. Lorsqu’elle sourit, on ne voit qu’elle. Solaire et tout de blanc vêtue, elle s’oppose à la Femme de la ville, la tentatrice Margaret Livingston, oiseau de mauvais augure aux cheveux et vêtements d’un noir de jais.


Le film est bâti autour de la relation entre le Mari et son Epouse, les autres personnages n’étant là que pour constituer des antagonistes (la Femme de la ville, la Manucure, l'Importun) ou des adjuvants (la Servante, le Photographe, le Pêcheur), qui n’interagissent pas entre eux, dont les actions ne concernent que le couple.
Et cela fonctionne… Nous vibrons de cet amour retrouvé, qui triomphe finalement. Nous pleurons avec la Femme, et retenons notre souffle jusqu’au dernier instant, et partageons le soulagement qui étreint le Mari au dénouement.


Ce qui saute aux yeux d’emblée est l’évidente maîtrise technique et artistique de Murnau. La photographie est superbe, et les décors, glorieux. La réalisation est virtuose, et « L’Aurore » nous régale d’une succession de plans magnifiques une heure et demi durant.


La "patte" expressionniste de Murnau se retrouve dans tout le film (merci Meleas), à des niveaux divers :



  • Les personnages n’ont pas de noms propres, ils sont des fonctions, des symboles. Cette absence de noms permet également de raconter une histoire générique entre un homme et une femme, tel que le précise Murnau dès le début du film.

  • La nature va jouer un rôle prépondérant dans le film. Elle est omniprésente : lac, forêts et décors naturelles, et constitue aussi un élément qui va s’opposer à la réussite des personnages, comme un dernier obstacle qu’il leur faudra franchir.

  • Les décors et l’ambiance sont résolument fantaisistes : ainsi, toute la partie rurale est nimbée d’une épaisse couche de brouillard, tantôt menaçante, tantôt féérique. La Ville, elle, constitue un décor pharaonique, somptueux, cadre parfait pour la réconciliation des amoureux.


Tous ces éléments servent la narration, et contribuent à faire du film, aidés en cela par une technique irréprochable et une image sublime, un bijou de cinéma.


Malgré tout, j’émettrai cependant un petit bémol, car plusieurs éléments sont venus perturber mon expérience au cours du film, et m’empêchent donc de lui décerner la note parfaite que beaucoup lui attribuent. En effet, la partie centrale du film, qui se déroule dans la ville, me paraît traîner en longueur, brisant un peu le rythme de l’histoire. Le climax du film survient très tôt, et le souffle me semble retomber ; une fois le pardon acquis, des scènes agréables et gentillettes, certes, se succèdent, mais sans apporter au récit une profondeur supplémentaire.


Deuxième point, j’étais un peu déçu par le traitement reçu par le personnage de Janet Gaynor. Si j’aime cette actrice, et que sa bouille adorable me fait fondre dès qu’elle sourit, j’aurais préféré un personnage un peu plus fort. Bien sûr, elle compose un rôle tout en retenue, une femme discrète, effacée, sensible et surtout, amoureuse, prête à pardonner même l’impardonnable à son mari… ce qu’elle fait par ailleurs rapidement. Sa détresse et sa faiblesse sont palpables, et l’on sent qu’elle ne s’opposera jamais au Mari. Mon empathie naturelle pour elle me fait craindre qu’il n’abuse encore de sa bonté et de sa gentillesse.


« L’Aurore » est un film magnifique, à la réalisation virtuose, porté par une interprétation toujours juste de ses comédiens. Bercés par une musique parfaitement choisie, nous suivons l’histoire de la reconquête d’un amour perdu, de la réconciliation de la douce Janet Gaynor et du fougueux George O’Brien. C’est une belle histoire.

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le 29 mars 2015

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Aramis

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