Comme souvent chez certains acteurs comiques, il leur vient l'envie de se frotter à un registre plus sérieux ou plus grave, c'est très louable, et pour De Funès alors la plus grande et populaire vedette comique du cinéma français de l'époque, il eut l'envie de jouer à l'écran, Harpagon de Molière. Il apporta tous ses soins à cette entreprise culturelle, choisissant lui-même les acteurs et les techniciens, et assurant la co-réalisation avec son complice Jean Girault, auteur de tant de ses succès comme le Gendarme de Saint-Tropez, Faites sauter la banque ou les Grandes vacances.
Le texte a été respecté mais De Funès souhaitait une nouvelle lecture de Molière, plus moderne et plus dynamique ; pour cela, des décors stylisés furent construits, dont certains reproduisent les couvertures d'une collection d'ouvrages classiques et d'autres illustrés grandeur nature par Albert Uderzo, dessinateur d' Astérix, tout en gardant quand même un intérieur bourgeois de 1668. La pièce a été découpée en petites scènes avec des échappées hors de la maison pour éviter le théâtre filmé, des portes qui claquent, des montées et descentes d'escaliers et des changements de salles, comme la cuisine de Maître Jacques.
Malgré tous ces détails qui font penser qu'on est bien dans le théâtre de Molière, la mise en scène accumule des gags qui correspondent plus à ceux des personnages habituels de De Funès qu'au comique de Molière, car il est évident que De Funès fait du De Funès, il ne peut s'empêcher de retrouver son naturel même en Harpagon car il a voulu aussi attirer son public fidèle en optant pour un style farce et en se livrant à son agitation coutumière. Au premier abord, ça peut énerver légèrement, mais au final, c'est assez drôle, et ça fonctionne bien avec les autres acteurs dont certains sont des familiers de ses films, on y retrouve l'éternelle Claude Gensac, le fidèle Michel Galabru dans le rôle inénarrable de Maître Jacques qu'il campe de façon fort savoureuse, et aussi la paire d'acolytes des Gendarme, Michel Modo et Guy Grosso, auxquels s'adjoint un acteur comique de la même trempe, Bernard Menez, excellent dans le petit rôle de La Flèche.
Le film est donc un agréable compromis entre l'oeuvre de Molière et le personnage cinématographique de Louis De Funès, où le théâtre classique est un peu transformé en vaudeville burlesque, mais il n'est heureusement pas trahi. J'aime bien ce film, même si comme pour L'Aile ou la cuisse, je ne le considère pas comme un grand classique populaire de l'acteur tels que la Grande vadrouille ou autres films de Gérard Oury.