Elles sont deux, pareillement âgées de douze ans, et pareillement incarnées par Lila Gueneau. L’une, Marguerite, discrète, policée, vit en 1942 dans la luxueuse demeure familiale. L’autre, Margot, vit de nos jours, chez sa mère (Anne Charrier) et le compagnon de celle-ci (Clovis Cornillac), que l’adolescente bougonne et colérique supporte mal. Heureusement pour elle - on n’a pas toujours ce qu’on mérite -, elle est flanquée d’un camarade bagué et discrètement amoureux, Nathan (Nils Othenin-Girard, excellent), aussi bienveillant et patient que son amie est brusque et irritable. Le père est loin dans les deux cas : envoyé au front ou surfeur à l’autre bout de la planète.
Une malle magique matricielle va permettre l’échange qui impulsera au deuxième long-métrage de Pierre Coré sa dynamique et propulsera les personnages dans une quête convergente : Marguerite, transportée au XXIème siècle, et Margot, ramenée en plein XXème, partiront l’une et l’autre à la recherche du père menacé, celui de Marguerite, dont on a perdu la trace durant la Seconde Guerre Mondiale, malgré les diverses lettres adressées aux Ministres.
Sur un rythme soutenu et en suivant un montage alterné savamment agencé, les situations incongrues, loufoques, désopilantes ou inquiétantes s’enchaînent, faisant de plus en plus souvent jaillir le rire, à mesure que l’on pressent une fin heureuse. Le carambolage temporel est un ressort qui s’est déjà trouvé abondamment exploité, notamment dans « Les Visiteurs » (1993) et les diverses suites auxquelles ils ont donné lieu. Ici, l’écart entre 1942 et notre époque est nettement moins marqué qu’avec le Moyen-Age, mais la réflexion n’en est que plus subtile, puisque les évolutions, travaillées au scénario avec Alexandre Coffre, apparaissent de façon plus nuancée mais non moins criante. Le personnage qui seconde Marguerite-Margot dans sa quête, à savoir la Tante Alice, incarnée de façon jubilatoire par une Alice Pol en grande forme, est à ce titre très intéressant et souligne à lui seul tout le chemin parcouru dans le destin réservé aux femmes. Et n’oublions pas la riche figure confiée à Clovis Cornillac, qui revisite et questionne de manière féconde et, là encore, infiniment subtile, le rôle supposé paternel...
Accessible dès la pré-adolescence, pour l’énergie et la vivacité du scénario, « L’Aventure des Marguerite » ravira également les adultes, par l’esprit et l’intelligence des dialogues, auxquels Stéphane Kazandjian apporta son concours, et qui parviennent à rendre crédibles, et comme naturelles, les situations les plus invraisemblables. Si bien que le spectateur s’abandonne avec plaisir à cette exploration de mondes plus ou moins familiers par un œil radicalement nouveau. Une virginité qui ouvre même sur de beaux moments poétiques, telle cette découverte, muette et émerveillée, de grandes éoliennes battant silencieusement et énigmatiquement l’air de leurs pales gigantesques.
La photographie, de Jean-Paul Agostini, déploie tout un nuancier de couleurs chaleureuses, parfois légèrement poudrées, comme teintées de nostalgie, à l’image de la musique de Jérôme Rebotier, aussi discrète que sensible. Cataloguée « comédie », cette belle réalisation est loin de se cantonner à la légèreté habituellement associée à ce genre et fait montre d’une belle profondeur. Mais une profondeur résolument tournée vers l’optimisme, puisque les êtres, comme le commente laconiquement Nathan (« Elle a juste besoin de nous... »), passent leur temps à se soutenir et se sauver, se libérer l’un l’autre, allant même jusqu’à visiter et peut-être même infléchir leur passé... Une démarche, somme toute, très psychanalytique...