« Pourquoi discuter ? Les paroles ne servent à rien. »
L’Avventura n’est pas un film facile. Par sa longueur, près de 2h30, par son récit, volontairement déceptif, par son propos enfin, gangréné de silences et de décrochages.
Marivaudages vains de riches oisifs, il a tout pour irriter. La disparition de l’une permet de glisser une béance dans ce monde polissé qui s’en remet étrangement, accentuant son absence de sens des réalités, et remettant en marche la valse des séductions, toutes plus opaques et blasées. Le désir de vivre un sentiment réel agite cependant véritablement les protagonistes qui promènent dans une Italie magnifiée leur quête aussi galvaudée que sincère. Anna reste une disparue. « S’ils la retrouvent, elle sera morte », affirme celle qui va la remplacer dans le lit de Sandro : mieux vaut qu’elle ne soit pas morte, comme eux tous, dans une survivance étrange et indicible.
Car, comme souvent chez Antonioni, la mise en scène intervient là où les échanges et les regards perdus se brisent. D’une puissante densité, elle structure chaque plan, chaque décor, surtout. Le film se divise en deux lieux génériques, qu’on retrouve dans le découpage millimétré de l’ultime plan, divisant en deux parties le décor, la montagne et le mur : la nature infinie contre l’architecture encadrante. Après une introduction urbaine, l’île ouvre le film, splendide et angoissante, lieu de la perte, (« Les îles me dépriment, tout cette eau autour ! » affirme l’une des plaisancières) où les rochers roulent dans les flots qui s’y fracassent dans un bruit sourd. La seconde partie va reproduire ce que l’introduction annonçait déjà comme une rivalité entre la blonde, qui reste dans l’encadrement de la porte de l’hôtel, et la brune qui y fait l’amour avec son prochain amant. L’architecture est sans cesse exploitée, participant à la composition des plans, d’une maitrise époustouflante. La symétrie, les lignes de fuite, la profondeur de champ sont d’une densité rare. Certaines séquences mémorables en témoignent, comme le jeu avec les cordes attachées aux cloches ou les regards que focalise Monica Vitti lorsqu’elle passe dans la rue, défilant devant un parterre de passants statufiés par leur contemplation.
Sandro explique en partie cette opposition entre décor naturel et architecture, dont la ruine est d’ailleurs le plus beau témoignage : « Autrefois, les choses belles duraient des siècles. Aujourd’hui elles durent vingt ou trente ans ». Car c’est bien de la beauté qu’il s’agit, comme toujours chez Antonioni.
Une beauté qui sauve la vanité, qui rachète l’ennui (très belles scènes où Monica Vitti griffonne un magazine, grimace face au miroir…), qui permet au triste monde des hommes de prendre sens et de s’immortaliser.