L'Avventura par klauskinski
Au début de L'avventura, on suit un groupe de bourgeois en croisière dans les îles éoliennes. La disparition sur une des îles de celle qui constituait jusqu'ici le personnage principal du film, Anna, semble lancer celui-ci sur les bases d'un thriller. Pourtant le film bascule lentement dans une sorte de dérèglement progressif: dès les séquences de recherche, sur l'île, Antonioni brouille les pistes en filmant des personnages dont les mouvements à l'intérieur du plan semblent ne répondre à aucune logique: ils sortent du cadre et y reviennent de manière totalement aléatoire, paraissent complètement perdus, incertains. Le réalisateur joue de manière virtuose avec la profondeur de champ, offrant des plans d'une beauté rendue d'autant plus stupéfiante par l'absence apparente de sens. Puis, subrepticement, avec l'ébauche d'une histoire d'amour entre les deux amis de la disparue, le film dérive dans des eaux de plus en plus troubles: la disparition d'Anna s'efface elle-même peu à peu, à la fois de l'esprit des personnages et de celui des spectateurs. Le film se construit ainsi sur une béance, un vide narratif, ce qui permet à Antonioni de le faire évoluer vers un univers mental et sensitif: concrètement il ne se passe plus rien, les actions et comportements des personnages paraissent absurdes, inintelligibles. La mise en scène reflète en fait leur incertitude profonde, leur vide intérieur, une sorte de mal-être: Antonioni filme ses personnages comme des figures se déplaçant au sein d'un espace(le plan), ce qui illustre leur errance métaphysique. L'avventura est donc, plus qu'un grand film, une incroyable expérience, plastiquement magnifique et cinématographiquement révolutionnaire, au sens où il abolit le récit classique hollywoodien (grossièrement une énigme qui sera résolue à la fin).