Un film honnête & simplet.
Plutôt qu'un film d'horreur, je pense qu'on peut définitivement affirmer que "L'Echine du Diable" est un drame fantastique, empreint d'une certaine magie aux abords effrayants ; le fait que Del Toro soit cru dans sa volonté de montrer au spectateur cette partie choquante, traumatisante que ce dernier redoute tant, ce n'est pas vraiment de l'épouvante, juste une confrontation à ce que pourrait être la réalité pour tous, à ce qu'est la réalité aux yeux des enfants ("L'Orphelinat" ; "Le Labyrinthe de Pan")..
Ici, guère de retenue : bien qu'empli de métaphores, ces dernières sont facilement reconnaissables. Le but du réalisateur est de, comme presque toujours, critiquer les méfaits de la guerre & de la pauvreté en Espagne, pour montrer à quel point cela affecte la sensibilité, les décisions des gens, à quel point ça change une personne.
La personne qui change dans la filmographie de Del Toro, c'est souvent un enfant. L'enfant, si pur & si nonchalant, si peu inquiet de la vie & du futur, si réservé & si intimiste dans un monde qui n'est pas le sien, envahi par les méandres bienfaisants de son imagination sincère & encore ignorante : qui, plus angélique qu'un enfant, pourrait subir la métamorphose brutale menant à l'âge adulte ? Âge adulte qui n'est pas imposé par l'âge légal & sociétal : un enfant peut rester dans son confort jusqu'à 30 ans si la vie ne vient pas lui arracher ses dernières onces d'innocence. Ici, Del Toro enlève toute enfance aux orphelins, en les confrontant, d'une part, au meurtre de l'un des leurs, d'autre part, à la guerre qui se rapproche de plus en plus de leur terre isolée, puis à l'explosion qui tuera un bon nombre des habitants de l'orphelinat. Tous ces éléments les coupent de leur idéalisme, les fait lutter contre un monde horrible qui s'impose à eux, un monde qui va contre leurs volontés. Le personnage d'Ivan Illich, de Tolstoï, pensait à part lui, alors qu'il agonisait de la maladie, que seuls les souvenirs d'enfance étaient réels & heureux ; le reste n'était que supercherie à ses yeux, comme s'il ne s'agissait que de la mémoire d'un autre, comme si on l'avait tiré de sa joie de vivre pour lui ordonner de devenir un "homme comme il faut".
Del Toro se sert donc ici des affres de la guerre & des divertissements adultes pour faire le bilan sur l'utilité de l'enfant : d'abord délaissé dans un orphelinat, on se rend ensuite compte qu'il ne sert que de chair à canon pour la guerre, on le façonne de sorte à ce qu'il devienne un homme. Ceux qui n'ont pas su naître, à l'instar des morts-nés dans les bocaux du docteur, sont des rejetés, considérés comme appartenant au diable : paradoxe, comme si faire la guerre allait permettre d'arriver à Dieu.
Thèmes mis à part, la réalisation du film est très bonne. Tout s'enchaîne avec une fluidité telle qu'on ne voit pas le temps passer. Le suspens est bel & bien là, certains sursauts sont à noter pour les gens fragiles, & le "gore", ou plutôt le cru, est exposé sans gêne (cadavre en décomposition dans le bassin). Les acteurs sont convaincants dans l'ensemble, mais je n'ai jamais douté des grosses productions espagnoles & italiennes de ce genre pour trouver un casting compétent. L'ambiance est perturbante au début, mais on finit par s'y accommoder très rapidement. Quant à l'intrigue, elle n'est pas très développée, & quand on a le fin mot de l'histoire, le film ne vaut pas le coup d'être revu. Tout est très soigné, mais l'oeuvre globale reste convenue & simplette.
Prémisse au "Labyrinthe de Pan" qui est l'achèvement absolu du réalisateur, ce film n'en reste pas moins l'une des oeuvres majeures de Del Toro. De bonne distraction, il ne rentrera pourtant que très difficilement dans une liste de classiques, tant le genre en est flou.